Difficile de ne pas prédire que cet album sera assurément l’un des plus originaux de l’année, voire des deux ou trois qui ont précédé…
Avec Jolies Ténèbres, il vaut mieux cela dit savoir à quoi s’attendre : la douce couverture aux tons bleutés risque bien d’en tromper plus d’un, de même que le coup de crayon de Kerascoët (et sa mise en scène parfaite, qui se passe souvent de dialogues et rehausse encore l’intensité du récit), si vous vous contentez de feuilleter cette BD à la va-vite. Car il ne s’agit pas d’un album ordinaire.
Partant d’une idée de base très forte – la vie d’une petite bande de minuscules personnages gambadant autour d’un cadavre de petite fille qui fatalement se décompose au fil des saisons ! – l’album enchaîne les scénettes souvent macabres, sans oublier pour autant une trame plus générale qui se garde bien de livrer tous ses secrets : qui est cette petite fille ? Croise-t-on son meurtrier ou bien un père meurtri par la douleur de la perte ? Vous n’en saurez rien, même une fois l’album refermé, et le lecteur se retrouve donc esseulé, livré à lui-même, à échafauder ses hypothèses…
Cela dit, cette lecture nous hantera longtemps pas uniquement du fait de cette énigme, évidemment : conte amoral et cruel, les aventures d’Aurore et de ses amis ou ennemis au milieu des gentils animaux de la forêt mais aussi des asticots basculent parfois d’une case à l’autre, passant d’un délicieux goûter autour d’un thé à une énucléation !
Vous l’aurez compris, cet album atypique n’est probablement pas à mettre entre toutes les mains. Déconcertant, il pourrait même être considéré comme repoussant par certaines âmes sensibles.
Mais ce serait tout aussi certainement renoncer à une bande dessinée qui mérite que l’on s’y attarde, quand bien même sa poésie morbide ne nous laisse jamais reprendre notre souffle, d’un premier rendez-vous à une vengeance amère minutieusement calculée…
— Gillossen