Voici donc le premier roman du co-créateur de l’univers malazéen, popularisé par Steven Erikson depuis la sortie des Jardins de la Lune. La comparaison entre les deux auteurs semble inévitable. Pourtant, après la lecture de ce Night of Knives, qui se déroule avant les évènements narrés dans le Livre malazéen des glorieux défunts, force est de constater qu’Esslemont arrive à se démarquer de son célèbre compère.
Par la forme, tout d’abord, puisqu’avec ses 400 pages et ses gros caractères, on est très loin des pavés que nous livre à intervalles réguliers Steven Erikson. Par le fond, également : alors que le Livre malazéen des glorieux défunts nous raconte l’histoire d’une bonne centaine de personnages éparpillés sur plusieurs continents, Night of Knives se concentre sur deux protagonistes en particulier, Temper et Kiska, sur une ville, Cité Malaz, et sur une nuit, celle des couteaux. Et c’est sûrement cette différence d’échelle qui fait la force et la faiblesse du roman d’Esslemont.
En effet, ce focus sur un nombre restreint de personnages permet de s’y attacher plus facilement, même si la voleuse Kiska n’est pas forcément le personnage le plus intéressant à suivre : simple témoin des évènements, elle intervient finalement peu dans le déroulement de l’histoire. L’unité de lieu et de temps (à quelques flashbacks près) renforce également la tension présente tout au long du récit. Plongé au cœur de la nuit dans les rues sombres de Cité Malaz, le lecteur n’a que rarement le temps de reprendre son souffle.
Cependant ce choix implique forcément une certaine mise en retrait du génial univers malazéen (son histoire, sa géographie, ses peuples), en quelque sorte le héros du cycle d’Erikson, ce qui pénalise énormément l’envergure et les enjeux de Night of Knives. Seule l’intervention de personnages phare de la série, dont on taira les noms, permet au livre de vraiment décoller pendant quelques scènes.
Au final, après lecture, il paraît évident qu’il s’agit là d’une mise en bouche et qu’Esslemont a beaucoup de choses à nous raconter. Le grand arc narratif que l’on sent poindre au détour de quelques lignes nous fait entrevoir d’épiques développements possibles. Problème : Night of Knives oublie justement d’être épique et les enjeux sont pour le moment difficilement discernables. On se retrouve avec une sympathique petite préquelle et, sans l’éclairage qu’apportera les prochaines œuvres d’Esslemont (en tout, six romans sont prévus), on en vient à se demander si ce roman est vraiment un ajout d’importance au monde malazéen.
Le potentiel est donc bien là, et on gardera un œil très curieux sur les prochaines parutions du bonhomme, mais cette mise en place n’a pas le rythme des Jardins de la Lune, qui ouvre le cycle de Steven Erikson.
Un premier essai qui reste encore à transformer.
— Merwin