Prenons tout d’abord un instant pour saluer l’initiative de Calmann-Lévy, sous l’impulsion de Sébastien Guillot : publier une anthologie de fantasy, même sur un sujet aussi fédérateur dans cet univers, voire au-delà, que le dragon – on a connu plus aride – avec un quart de nouveaux venus au sommaire, il fallait le faire, et il fallait donc indubitablement le souligner.
Créature protéiforme, le dragon, symbole par excellence de la fantasy éveillant immédiatement d’innombrables images dans notre imagination, se prête à merveille à toutes formes de récit et nous ne sommes en conséquence guère surpris de retrouver ici des nouvelles elles-mêmes très différentes l’une de l’autre. Et c’est bien en général ce qui participe à part entière au charme d’une anthologie.
Le lecteur doit donc s’attendre à découvrir des nouvelles très courtes, d’autres beaucoup plus longues voire prenant des allures de morceaux de romans, des nouvelles misant tout sur une idée forte et d’autres plutôt sur une ambiance ou leurs personnages, des relectures de mythes ou, plus rares, quelques récits d’un grand classicisme dans leur approche.
Mais, globalement, les nouvelles sélectionnées permettent à ce recueil d’afficher une belle homogénéité qualitative. Bien sûr, comme toujours, certaines histoires sortent du lot : le conte épique révisant les mythes nordiques d’Ugo Bellagamba, au souffle rêveur dont on comprend sur la fin l’hommage rendu à Arthur C. Clarke, Le Dragonneau anorexique de Jean-Claude Bologne, avec son protagoniste principal qui n’aime pas les princesses d’élevage, courte nouvelle moins légère qu’on ne pourrait le croire, ou bien encore Soldats de plomb de Frédéric Jaccaud, touchant et amer récit de guerre sur fond de mine. D’autres, particulièrement du côté des auteurs à la stature déjà bien établie, «font le boulot» : on pense aux nouvelles de Fabrice Colin ou Mélanie Fazi, reconnaissables entre toutes, mais qui, plaisantes ou émouvantes sur l’instant, ne parviennent pas à s’imposer. D’autres encore partent donc avant tout d’une idée directrice censée faire mouche en surprenant le lecteur, un parti pris à double tranchant car si ce choix, voire ce twist, ne convient pas… Citons cette fois La Mort de Tlatecuhtli, dont le cadre change agréablement d’un imaginaire européen, mais manquant un peu de substance mais non de poésie amère, ou bien le sympathique mais vite oublié Le Feu sous la cendre, qui pour le coup se perd trop en circonvolutions avant de toucher au but. Rares sont toutefois les récits qui indiffèrent tout à fait, voire agacent. À ce titre, remarquons qu’il était relativement osé de débuter cette anthologie par la nouvelle de Daylon, illustrateur émérite, qui aura sans doute de quoi en rebuter plus d’un : récit ampoulé faussement fiévreux qui ne parvient que trop rarement à ne pas ressembler à un pur exercice de style vain, elle ne laissera sans doute pas indifférent, précisément.
D’autres nouvelles encore pourraient se voir citées, offrant de véritables morceaux de littérature si ce n’est de bravoure : on songe aux histoires de David Camus ou Johan Héliot, qui bien que n’ayant rien à voir sur la forme comme sur le fond, se rejoignent par leur solidité et leur tenue sans faille. Le lecteur avide de saurien légendaire trouvera ainsi toujours de quoi relancer son intérêt entre deux nouvelles parfois légèrement en retrait : sans songer une seconde à les vouer aux gémonies, une poignée des histoires présentes ici se révèlent un peu trop lisses, trop plates, mais réussissent tout de même à constituer un réel liant contribuant également à la valeur de cet ouvrage atypique.
En somme, voici donc un recueil de bonne tenue, aux nouvelles en grande majorité intelligemment contextualisées, et qui n’a pas à rougir par rapport à d’autres références du même ordre, tel que le Elric et la porte des mondes du Fleuve Noir il y a quelques années.
Espérons que l’expérience puisse se répéter et encourageons la bête malgré quelques faiblesses !
— Gillossen