Re: Critique ! [La Compagnie des effrais - E. Amon]

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Salut les Elbakiniens et Elbakiniennes, ici l’auteur de ce patibulaire roman. Merci pour la chronique, même si La Confrérie des Effraies n’a pas réussi à complètement convaincre (ce sera pour un prochain livre, peut-être !).

J’aimerais rebondir sur une remarque, tout de même, parce que je crois que ça pourrait être intéressant pour parler de techniques d’écriture et d’intention créative !
Belgarion affirme, à titre de reproche, que le narrateur « manque singulièrement de charisme » : eh bien, en fait : il a raison !

En réalité, le personnage est construit sur un paradoxe. C’est un agent d’élite, il a un gros cerveau et de gros muscles, mais si on enlève les dorures complaisantes, c’est surtout un barbouze à la solde d’un gouvernement tyrannique. Donc, dans cette idée, il n’était pas exactement question pour moi de le rendre appréciable. Hasard du calendrier, ça fait un peu écho aux propos qui sont tenus dans le podcast Procrastination (toujours très stimulant) sur la violence physique.

Comme il s’agit de le suivre sur presque un million de signes, je le dote d’une sagacité assez profonde et lui donne à dire des choses que j’espère intéressantes sur la société, la nature humaine, le monde. Mais je ne cherche pas à faire qu’on l’aime. Je suis constamment en train de jouer sur cet équilibre. Certains passages sont même construits pour forcer les lecteurs et les lectrices à se désolidariser du personnage.

Pour le dire dans des termes pouet pouet : c’est un personnage de type nabokovien. Ambivalent. Oxymorique, peut-être même. Il a certains traits qui l’approchent d’un héros (il aime le fromage et il a un esprit d’engagement très fort envers ce en quoi il croit) et d’autres qui l’approchent d’un anti-héros (il est capable de manipuler et de tuer salement). Autre point : il n’exprime quasi jamais son ressenti, sinon de manière implicite (une règle d’écriture que je me suis fixée et qui n’a pas été facile à tenir) : ça n’aide pas à avoir de l’empathie pour lui !

À titre personnel, j’irais même jusqu’à dire que c’est l’un des personnages que j’aime le moins parmi tous les perso principaux (oui, oui). Mais il y en a d’autres beaucoup plus chouettes, sans mauvais jeu de mots.

Cette approche n’est pas du tout intuitive, c’est clair, et se priver des bénéfices de l’identification du lecteur ou de la lectrice, c’est probablement même une erreur d’un point de vue commercial, mais sur le plan créatif, ça permet une richesse, des strates de subtilité, qu’on n’obtient pas autrement (réflexion sur la subjectivité et l’objectivité dans le langage, notamment). Un autre avantage, c’est que, lorsque l’on n’aime pas vraiment son personnage central, on a moins de scrupules à lui mettre des bâtons dans les roues et à le confronter à des masses d’ennuis : l’aventure, ainsi, n’en est que plus trépidante.

Bref, écrire de la fantasy, ce n’est pas évident. Je crois que plus personne ne se satisfait des vieilles soupes à la grand-papa. S’y essayer implique d’en subvertir les codes, d’une manière ou d’une autre, ce qui implique de tenter des choses, de prendre des risques : et donc peut-être, éventuellement, de manquer sa cible. Ça fait partie du jeu !
Merci de m’avoir lu, en tout cas !

Re: Critique ! [La Compagnie des effrais - E. Amon]

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Merci pour ce retour, Gnosse ! :) A titre personnel, je trouve toujours très intéressant d'avoir des détails des auteurs sur la manière dont ils perçoivent leurs personnages, et dont ils écrivent.

La Compagnie des effrais n'est pas un titre qui me faisait particulièrement envie, et la critique (merci Belgarion !) n'avait pas non plus changé la donne, mais maintenant, je suis curieuse ^^ J'essaierai de mettre la main dessus, à l'occasion.
Et un personnage qui aime le fromage ne peut pas être si mal :mrgreen:
"Libre à vous d'aller lire autre chose de plus franc du collier" La Cité de soie et d'Acier, de Mike, Louise et Linda Carey

"Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents" La Horde du contrevent, Alain Damasio