Attendu de pied ferme depuis                                  des années maintenant, le duo Ange signe                                  enfin son grand retour au roman de fantasy, avec                                  le premier tome d'une trilogie succédant                                  au succès aussi bien public que critique                                  d'Ayesha.
 Et dès les premières pages, on retrouve                                  ce qui a justement fait le succès de l'histoire                                  bouleversante d'Arekh et Marikani : une écriture                                  nerveuse et racée, élégante                                  et mordante à la fois, un mélange                                  intense entre action et réflexion, un univers                                  rapidement brossé mais non sans surprises,                                  et une certaine amertume, un parfum de regret                                  implacable qui serpente de page en page... 
 Variation sur le thème des Chevaliers-Dragons                                  - le dragon est ici remplacé par un démon,                                  mais on retrouve le principe de vierges-guerrières                                  immunisées contre le Mal mais plus craintes                                  que respectées par la population - se déroulant                                  dans un cadre évoquant l'extrême-Orient                                  mais doté d'une personnalité propre,                                  le roman prend le pari finalement assez risqué                                  de se centrer sur un duo de "héros"                                  adolescents, qui, bien que mûris aussi bien                                  par leur condition que par leurs expériences                                  au fil du récit, n'en demeurent pas moins                                  de grands enfants un peu perdus, aux prises avec                                  une tragédie qui les dépasse.
 Coups de tête, coups de colère, euphorie                                  ou désespoir... C'est de leur âge                                  de passer aussi vite d'un état émotionnel                                  à l'autre. Mais l'effet se retrouve peut-être                                  légèrement trop marqué, à                                  travers l'emploi fréquent de phrases ou                                  de mots écrits en majuscules, ou de signes                                  de ponctuation un peu trop appuyés (les                                  doubles ou triples points d'exclamation, par exemple).
 De même, suivant un déroulement implacable                                  et parfaitement maîtrisé dans ses                                  deux premiers tiers (la fuite, la traversée,                                  l'errance jusqu'au temple des Tueuses, entre découverte                                  du Grand Pays - de ses grandeurs aux mesquineries                                  si humaines de ses habitants - et de soi-même,                                  puis une éprouvante traversée du                                  désert, au sens propre), la troisième                                  partie du roman semble se précipiter quelque                                  peu, sans doute pour mieux nous projeter dans                                  le dernier chapitre. 
 Celui-ci, sorte de twist temporel - à défaut                                  de mieux le décrire sans trop en révéler -,                                  agit comme un véritable coup de poing et                                  nous rapproche de la trilogie du Peuple turquoise,                                  aussi bien dans le ton que dans le fond. Le roman                                  se conclut sur une scène choc, qui incarne                                  la quintessence de son âpreté parfois                                  contenue pour mieux exploser au final. 
 Le décor est donc planté avec hargne                                  pour la suite, et nul doute que les drames ne                                  manqueront pas de se succéder. Cette ouverture,                                  ainsi que les interludes qui parsèment                                  le roman, nous prouvent en tout cas que le voile                                  est loin d'avoir été                                  entièrement levé sur le Grand Pays.                                  De nombreuses zones d'ombres et de mystères                                  sont encore là et auront de quoi alimenter                                  les réflexions et hypothèses de                                  lecteurs d'ores et déjà forcément                                  avides de connaître la suite.
 Il n'en reste pas moins que malgré de jolis                                  portraits très justes et une mise en place                                  nécessaire, ce premier tome demeure véritablement                                  un tome d'introduction, sans doute plus accessible                                  mais moins immédiatement ambitieux que                                  Le Peuple turquoise en son temps. On                                  aurait presque pu imaginer le dernier chapitre                                  débuter le roman et tout ce qui précède                                  nous être narré à la façon                                  des interludes, de façon plus ramassée.
 Mais il ne s'agit que d'un vœu pieux, pas                                  de quoi nourrir de véritables regrets.  Le Grand pays reste tellement supérieur                                  et différent de tant de resucées                                  sans âme du Seigneur des anneaux et autres qui pullulent dans le domaine de la                                  fantasy grand public...
 Un essai à transformer !
                                                                                            — Gillossen