Interview Marc du Pontavice
A quel moment avez-vous commencé à travailler
sur le film ?
C'est en 1999 que j'ai racheté Gaumont Multimédia,
qui est ensuite devenu Xilam. A l'époque nous produisions entre
autres pour la télévision les Zinzins de l’espace
et Oggy et les cafards, puis un peu plus tard Les Nouvelles Aventures
de Lucky Luke. A travers toutes ces années, nous avons beaucoup
exploré la 3D. Nous avons commencé en 1997, via le jeu vidéo,
puis nous l'avons utilisée dans nos séries d'animation.
Assez peu dans l'animation des personnages, mais surtout dans les décors,
les accessoires, les mouvements de caméra. Kaena est arrivée
au moment où l'on commençait à préparer un
long métrage en 3D, Stupid invaders, dont la production démarrera
au mois de juin 2003. En 2001, les banquiers de Chaman m'ont parlé
de la situation de cette société qui avait commencé
le film. Tout a ensuite été très rapide, puisque
Chaman n’a pas survécu à ses problèmes financiers
dans les jours suivants cette information.. Ma découverte du film
a été une expérience étonnante. J'avais bien
sûr entendu parler de Kaena, mais, malgré le peu d'images
finalisées, j'ai été littéralement fasciné
par ce que j'ai vu. Je ne pouvais pas imaginer quelque chose de ce niveau-là.
Ça a été ma première surprise. La deuxième
a été le script, dont je n'attendais pas une telle ampleur.
Vu de loin, j'avais de Kaena une image un peu compliquée, celle
d'une histoire d'heroic fantasy un peu fumeuse. Or, quand j'ai lu le scénario,
je me suis rendu compte que c'était une histoire très inspirée,
très belle, avec un univers très dense. Doté d'un
personnage principal qui porte le film de bout en bout, et d'une dramaturgie
qui fonctionne très bien. L'histoire tient le spectateur jusqu'au
bout, en utilisant le principe de la révélation progressive.
Un procédé assez habile, mais difficile à tenir.
Quand j'ai compris que le film risquait de ne pas se faire, nous avons
décidé de voir ce que nous pouvions faire.
Le film en était où à ce moment-là
?
C'est très compliqué à évaluer.
S'il fallait simplifier je dirais qu'il en était à la moitié,
mais en même temps, en 3D, tant que les images ne sont pas finalisées,
il n'y a pas grand chose à voir. Il existait un pré-montage,
mais il y avait à peine 10% de finalisé.
En fait, ça se comptait davantage en budget nécessaire
qu'en finition du film ?
Oui. Il manquait beaucoup d'argent, et l'organisation
n'était pas trop au point, car Chaman, à l'inverse de nous,
n'avait aucune expérience dans l'animation et le dessin animé.
La première chose que nous avons faite a été de mettre
en place des process et un encadrement afin que les choses puissent avancer.
On peut dire quelque part que le film était avancé à
50%, mais il y avait des plans qui étaient littéralement
à l'état de cubes. Sur la douzaine de sociétés
à avoir étudié le dossier, nous avons été
les seuls à proposer une offre de reprise. Le risque était
considérable. Sur un film en images de synthèse, vous n'avez
aucune visibilité sur le résultat final, puisque vous devez
juger des cubes ! Il faut donc d'abord beaucoup de confiance dans le film
et dans ceux qui le font ; il fallait ensuite, pour terminer ce film,
cumuler quatre domaines d'expertise que personne d'autre ne cumulait :
connaître l'image de synthèse, le dessin animé, le
film et le jeu vidéo. Personne d'autre que Xilam n'avait ces compétences
réunies, c'est probablement pour ça que les autres sociétés
n'ont pas poursuivi. Au-delà de la crainte — car il manquait
entre 5,3 et 6,1 millions d'euros pour finir le film et le jeu —,
ce qui m'a choqué, c'est que tout le monde, y compris ceux qui
avaient déjà investi dans le film, était prêt
à laisser tomber le projet. Le découragement et la perplexité
des investisseurs avaient tué le désir et la curiosité
qui avaient permis de lancer le film. Il n'y avait pas cette force politique
comme il en existe dans la fiction, ce qui montre aussi que le dessin
animé n'a pas encore acquis la considération des grands
décideurs. Pendant les dix jours de préparation du dossier,
je n'ai pas réussi à convaincre les partenaires de me suivre.
Je suis donc parti en me disant que Kaena était tellement fort,
qu'il fallait juste leur redonner le goût du film pour qu'ils reviennent
à la table. Ce qui s'est passé assez vite. Deux ou trois
mois en fait. C'est ça que j'aime dans l'histoire de Kaena, c'est
que ce film constamment menacé par les obstacles, y compris la
malchance— et c'est peut-être intrinsèque au pari qui
était impossible sur le papier — était tellement fort
qu'il a créé sa propre énergie, et forcé son
destin. Il aurait dû s'arrêter plusieurs fois, et ça
n'est pourtant jamais arrivé. C'est aussi ce qui le rend séduisant.
La suite a été plus facile ?
Non… Car il y avait quand même 70 personnes,
et une bonne moitié était déjà dans la nature,
et avait fait son deuil du film. Il a fallu les rattraper, les relancer,
les remotiver. Il fallait surtout réinstaller la confiance. Et
puis très vite, les plans ont commencé à tomber,
ce qui a redonné la pêche à l'équipe.
Quels ont été les moments les plus durs
?
Ça a été le passage du numérique
à l'argentique. Car les scènes étaient sublimes sur
le flame, mais une fois sur argentique, nous avions l'impression qu'il
fallait tout recommencer.
Et à l'inverse, vos meilleurs souvenirs ?
La bande-son, et notamment la musique. La composition
de Farid était très belle, mais comme Chaman n'avait pas
les moyens, tout était fait sur synthétiseur. Le résultat
était donc très pauvre, et l'émotion ne décollait
pas. Il n'y avait pas d'espace, pas de souffle… Il a fallu en catastrophe
trouver à Londres des arrangeurs de très haut niveau qui
puissent réarranger la musique pour un orchestre. Puis nous sommes
allés à Sofia enregistrer avec 60 musiciens. Tout le travail
sur les effets sonores a été passionnant, et a permis au
film d'évoluer. Progressivement, il trouvait son identité
et sa force. Le son fonctionne un peu comme la troisième dimension
du film, sans laquelle le film reste à plat, privé d’émotions.
Quel était le challenge pour vous ?
Ce n'est pas forcément la masse financière,
car nous avons l'habitude. C'était davantage le fossé technico-artistique
entre notre expérience passée et Kaena, qui utilisait une
technologie totalement nouvelle pour nous, et avec des contraintes folles.
L'équipe n’avait pas d’autres choix que de travailler
sur des logiciels grand public! Il y a eu très peu de Recherche
et Développement. C'est ça qui était très
important pour nous. Parce que sans ressources en R&D, il n’y
a que le talent et l’imagination qui comptent. Nous avions vu suffisamment
de choses pour être persuadés que le résultat serait
fabuleux, mais pourtant, tout restait à faire en finalisation pour
être sûrs d'avoir quelque chose qui tienne complètement
la route. Un des enjeux qui m'excitait aussi terriblement, c'est que le
film s'adressait à un public adolescent et adulte — une nouveauté
à cette échelle — avec des personnages humanoïdes,
mais qui ne tombaient pas dans le réalisme délirant de Final
Fantasy. Si Kaena marche, ce sont des pans entiers de notre industrie
qui peuvent se bâtir sur un genre totalement nouveau. Je pense en
plus que les Français, par rapport à l'Europe et aux Etats-Unis,
ont des choses exceptionnelles à faire valoir. La comédie
cartoon, c'est le royaume américain. Mais sur des univers comme
Kaena, les talents français n’attendent que de sortir du
bois.
Sur un plan artistique et visuel, tout était déjà
avancé ?
Il y a des choses sur lesquelles je ne pouvais plus intervenir.
Le design, par exemple, était terminé, à un ou deux
détails près. Mais j’étais tout à fait
convaincu de sa valeur. L’animation aussi était terminée.
La seule chose sur laquelle on a eu des conversations, souvent fortes
et passionnantes avec Chris, c'est sur la lumière, l'étalonnage
et le montage enfin, il restait la partie sonore.
Vous avez quand même pu vous réapproprier
le film ?
Partout où j'ai pu le faire, je l'ai fait. Dès
que j'ai pu donner mon avis, et participer à des choix déterminants
pour l’avenir du film, je l'ai fait. Car sinon, jamais je n'aurais
voulu prendre ce risque et porter le film jusqu'au bout. Kaena est à
la fois un film d’auteur et de producteur. Mais c’est avant
tout une création inouïe. L’ambition graphique, et plus
encore l’audace thématique qui n’hésite pas
à tutoyer la mystique et « la fantasy », tout cela
témoigne d’une vision qui seule appartient aux grands auteurs.
Et dans le métier de producteur, il faut apprendre à respecter
cette intuition. C’est même l’essence de notre métier.
Rentrer dans le film à ce stade ne m’a donc pas posé
de problèmes. Je suis heureux, car j'ai apporté ce que j'ai
pu, que ce soit sur la lumière et sur la bande son, sur le montage
ou sur les voix, et cela correspond très bien à ce que j'ai
envie de faire dans le cinéma. Ce qui m'a aussi fait plaisir, c'est
qu'on a pu très vite construire un dialogue avec Chris et l'équipe,
et je ne crois pas avoir été perçu seulement comme
l’hurluberlu qui met de l'argent dans le système. Je crois
beaucoup à la nécessité de ce dialogue qui fait du
producteur le premier interlocuteur du réalisateur. Et je ne ferais
pas ce métier sans cela.
Comment ça s'est passé avec Chris ? Parce
que j'imagine que lui aussi a dû accuser le coup…
Pour faire un artiste accompli, il faut au moins trois
qualités : un talent qui crève les yeux, une immense ténacité
et une grande faculté d'adaptation. Chris les réunit toutes.
Et qui plus est, il écoute, se montre ouvert et curieux. Ça
ne s'est pas passé du jour au lendemain, car il a fallu que nous
nous apprivoisions, mais après quelques rencontres, il a vite pris
la mesure de notre détermination. Et puis l'équipe qui était
déjà en place au sein de Xilam l'a probablement rassuré
sur le fait que nous avions aussi des artistes, et que nous n'étions
pas que des financiers.
Et pour le futur ? On parle déjà d'une
suite à Kaena…
J'ai déjà demandé à
Chris de débuter l'écriture d'une suite. Mais il faudra
tout de même attendre que le premier soit en salles !
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