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Un entretien fleuve avec Brandon Sanderson !

Par John Doe, le dimanche 4 décembre 2016 à 12:20:48

Troisième partie

Vous êtes actuellement au milieu de la première partie des Archives de Roshar. Avez-vous déjà une petite idée de ce que racontera la deuxième partie (les livres 6 à 10) ou pas du tout ?

Non, je suis un planificateur, donc j’ai déjà une idée. Je ne me lance pas dans une série sans en connaître la fin, par exemple. Généralement, j’écris quelques pages décrivant l’ensemble de la série, le début et la fin. Puis j’ébauche et j’écris le premier livre. Avoir le premier tome me permet de savoir où vont les personnages ; par conséquent, je peux détailler bien davantage le reste de la série. En règle générale, le deuxième tome est le plus détaillé, suivi du dernier. Mais j’ai des informations sur chacun d’entre eux. Pour l’instant, j’ai quelques pages pour chaque tome des Archives de Roshar – sauf le dernier et celui sur lequel je me pencherai ensuite, pour lequel j’en ai une tonne. J’ai déjà écrit la fin du tome 5, par exemple. Ça peut changer d’ici à ce que j’y arrive, mais la scène d’épilogue du tome 5 est écrite. J’ai également la fin du tome 10. Comme je l’ai dit, je suis un planificateur : j’ai besoin de connaître précisément mes fins et de savoir de quoi chaque livre va parler. Je connais les dix séquences de flashbacks : Kaladin, Shallan, Dalinar (qui devait être le 5è, mais qui sera finalement 3è), Eshonai et Szeth ; pour les cinq suivants, il y aura Lift, Renarin, Ash, puis sans doute Taln et Jasnah. Je me réserve le droit de modifier l’ordre, mais pour l’instant, c’est prévu comme ça.

La Voie des rois était épique et Words of Radiance plus encore. Oathbringer suivra-t-il la même voie pour devenir encore plus épique que les deux premiers tomes ?
Déjà, il est plus long ! (rires) En fait, il ne compte que 370 000 mots pour l’instant, sur un objectif de 400, mais je n’ai pas encore terminé ! Il va être très imposant. Je pense qu’il sera encore plus épique, mais c’est aux fans d’en décider. Je vais écrire le meilleur livre possible et on verra ce qu’ils en pensent.
Il faudrait peut-être prévenir votre traductrice française, Mélanie Fazi !
Oui, pauvre Mélanie ! J’ai vraiment pitié d’elle quand je pense à tous les mots bizarres et aux jeux de mots que j’utilise. Elle fait un travail formidable, d’ailleurs. Elle a du travail jusqu’à la fin de ses jours avec ces livres !
J’aime la fantasy épique et c’est la raison pour laquelle j’adore vos livres. Mais en tant que lecteur, j’ai un problème avec les combats qui opposent deux personnages surpuissants et qui se terminent par la victoire du plus surpuissant des deux. Avec une série comme celle-ci, n’avez-vous pas peur de « l’effet Dragon Ball Z » ?

Si, effectivement, c’est un vrai risque en fantasy. Mais il existe un moyen de contrer l’effet Dragon Ball Z : en centrant les histoires sur ce que les personnages sont incapables de faire. En comics, Superman en est le parfait exemple : même s’il est invulnérable, qu’il vole et qu’il tire des lasers avec ses yeux, le personnage fonctionne parce qu’il n’arrive pas à faire en sorte qu’une femme tombe amoureuse de lui. C’est une partie importante du conflit. En tant qu’auteur de genre, il faut se poser une question simple : qu’est-ce que les personnages ne peuvent pas faire avec leurs pouvoirs ? C’est la direction que j’essaie de prendre avec Les Archives de Roshar : chaque histoire parle (je l’espère) intimement d’un personnage grâce aux flashbacks. Prenez l’exemple de Dalinar dans Oathbringer : il a presque tous les pouvoirs, et pourtant, son histoire tourne autour du fait qu’il a usurpé celui qui revenait à son neveu et à son frère. Aucune magie ne peut changer le fait qu’il redoute de devenir un tyran. En fait, plus il a de pouvoir, plus c’est dangereux. C’est le cœur même de ce qu’il est. L’histoire peut tout à fait être épique et sans temps mort, au final, le regard intime porté sur un personnage est ce qui fait que le livre fonctionne à mes yeux. Parfois, un combat devient une récompense après avoir fait grandir et évoluer le personnage, comme à la fin de Words of Radiance. La véritable histoire tourne autour du personnage, et le combat devient presque accessoire, car le personnage est devenu – ou a échoué à devenir – celui qu’il doit être.

Outre votre activité d’écrivain, vous enseignez également l’écriture. Est-ce une activité qui vous inspire ? Avez-vous parfois des idées lorsque vous préparez ou donnez un cours sur un sujet spécifique, ou lorsque vous échangez avec vos étudiants ?

Oui, absolument. Ça m’apprend surtout à expliquer mon processus et ça m’aide à établir un diagnostic. Voyons si j’arrive à l’expliquer. Un auteur écrit beaucoup à l’instinct, une technique qui fonctionne jusqu’à ce que… ça ne fonctionne plus. Lorsque l’histoire est en panne, l’instinct ne sert plus à rien et on se sent généralement perdu. Que faire quand l’histoire ne fonctionne pas ? C’est là que réside la cause du syndrome de la page blanche pour la plupart des auteurs : ils font tout au pied levé, à l’instinct, jusqu’à ce que ça ne marche plus. Étudier son processus, comprendre son fonctionnement et l’expliquer à quelqu’un d’autre permet de diagnostiquer les pannes. Lorsque vous souffrez du syndrome de la page blanche et que vous ne savez pas comment avancer, vous pouvez prendre un peu de recul et faire appel aux processus que vous avez expliqués aux étudiants pour essayer de comprendre ce qui ne va pas. Je passe beaucoup de temps à enseigner l’écriture, mais j’écris toujours à l’instinct la plupart du temps. C’est quand ça ne fonctionne plus que tout ce dont je parle dans mes cours devient pertinent. Je prends le temps de me demander ce qui ne va pas avec le personnage, avec le scénario, et c’est extrêmement utile. Mais il existe une autre raison pour laquelle j’enseigne : quand j’étais un jeune auteur, suivre un cours donné par un romancier professionnel, David Farland, a été excessivement important et utile pour moi. Jusqu’à présent, tous mes professeurs avaient été de bons auteurs, mais ils ne vivaient pas de ce métier. Ils vivaient en tant que professeur d’écriture. Dave est le premier professeur que j’ai rencontré qui vivait de ses publications. Je pense qu’il est indispensable que les étudiants puissent interagir avec quelqu’un qui vit de l’écriture. Je donne ce cours pour rendre ce que j’ai reçu. Je fais don de mon salaire à une bourse sur le campus. Tout l’intérêt est de pouvoir filmer les cours et de les mettre en ligne pour aider un petit nombre d’étudiants (parce que je ne peux pas aider tout le monde) à profiter des interactions qui m’ont été si bénéfiques.

Comment s’organise un jour normal dans votre vie ?

Je suis écrivain, donc je me lève à midi ! (rires) C’est vraiment le cas, je suis insomniaque donc je reste éveillé très tard dans la nuit. Je me lève à midi, puis je travaille ensuite jusqu’à 17h. Ensuite, je vais prendre une douche et me préparer pour la journée. Si vous venez frapper à la porte avant 17h, je suis en pyjama, j’ai les cheveux en bataille et je ressemble à un fou qui vit dans une grotte avec son ordinateur portable ! Une fois que je suis présentable, entre 17h et 20h30, je me consacre à ma famille. Si je ne m’oblige pas à respecter ce temps en famille, si je le passe à travailler, je suis là sans être là – mon esprit est ailleurs. J’ai donc dû prendre une décision stricte : à ce moment-là, j’oublie l’écriture et les histoires, et je deviens papa. On joue à Minecraft à l’extérieur (pas le jeu vidéo, on fait semblant d’être les personnages de Minecraft et on fait sauter les murs) ou je sors avec ma femme. À 20h30, les enfants vont se coucher – ils sont censés, en tous cas ! À environ 22h, c’est au tour de ma femme, et de 22h à 4h du matin, je travaille ou je fais autre chose. Généralement, j’écris de 22h à 2h, puis de 2h à 4h, je lis, je joue à un jeu vidéo, je regarde Stranger Things, ce genre de chose. Au final, j’ai un emploi du temps normal, je travaille environ neuf heures par jour. C’est ce que tout le monde fait, mais je n’ai pas le trajet maison/travail, ce qui me fait gagner du temps pour écrire. Je prends quelques heures par jour pour lire un livre et je passe trois à quatre heures avec ma famille. J’ai une vie parfaite, extrêmement bien équilibrée. Sauf quand je voyage ; là, tout passe à la trappe !

Début octobre, vous avez publié sur Goodreads une critique de Goldenhand, de Garth Nix. Cela m’a rappelé une conversation que nous avons eue récemment avec un autre auteur américain, Ken Liu, qui affirmait qu’il était indispensable pour un auteur de suivre ce qui se fait dans son genre. Êtes-vous d’accord avec lui ? Lisez-vous de la fantasy uniquement parce que vous aimez ça, ou éprouvez-vous le besoin de savoir ce que font les autres auteurs ?

Je suis toujours un peu inquiet quand j’entends un auteur de fantasy affirmer qu’il ne lit pas de fantasy. Il m’arrive de rencontrer des auteurs qui ont légèrement pris la grosse tête et qui disent : « Oh, j’ai beau écrire de la fantasy, je n’en lis pas ». Ça me fait penser à un neurochirurgien qui dirait : « Je ne lis pas les revues médicales pour savoir ce que les autres médecins ont découvert. J’ai mes propres méthodes et elles marchent très bien ! » C’est un peu inquiétant ! Je pense que si un auteur ne lit pas ce que font ses collègues dans le même genre, il se prive d’une énorme source d’inspiration. Beaucoup de mes livres ont vu le jour après que j’ai lu les romans d’autres auteurs et pointé du doigt les failles. Prenez Cœur d’Acier, par exemple : je regarde des films de super-héros et je me demande ce qui se passerait dans un monde sans héros, sans Superman, sans Captain America, avec uniquement des méchants. Les Archives de Roshar sont nées après que je me suis demandé si le worlbduiling en fantasy pouvait être encore plus bizarre, si on pouvait situer l’histoire sur une planète extraterrestre plutôt que dans un Moyen Âge européen de fantasy. J’adore ce type d’univers, mais il me semblait que personne n’écrivait des histoires se passant sur une autre planète. C’est ce qui m’a inspiré Les Archives de Roshar. Même si vous ne voulez pas vous inspirer directement de ce qu’écrivent les autres, si vous ne vous tenez pas au courant, vous ne pouvez pas participer au dialogue, à cette discussion si importante en littérature. Je suis tout à fait d’accord avec Ken, ce qu’il dit est très sage !

Que lisez-vous ou prévoyez-vous de lire actuellement ?

Le dernier livre que j’ai terminé était City of Stairs, de Robert Jackson Bennett – très bon. J’ai lu un chapitre d’un livre que je n’ai pas beaucoup apprécié, donc je n’en parlerai pas. Il y en a même eu deux, en fait. Il m’arrive souvent de lire 10 % d’un livre, et si je ne suis pas pris par l’histoire, je le mets de côté. Mais je ne les chronique pas et je n’en parle pas. La dernière chose dont un auteur a besoin est qu’un collègue célèbre critique leur livre. Quoi d’autre ? Je me rappelle avoir mis un livre sur ma liste… Ah, oui : je n’ai encore jamais lu La Justice de l’Ancillaire d’Ann Leckie. Je suis toujours passé à côté, bien que chaque tome ait été nominé aux Hugo et qu’ils aient tous été incroyablement bien reçus. Ce sera donc certainement ma prochaine lecture.

Avez-vous aimé Stranger Things ?

J’ai adoré Stranger Things ! J’ai trouvé ça formidable. J’ai regardé la série avec ma femme, pendant le temps que je lui consacre dans ma journée. En fait, j’étais en tournée quelque part, peut-être bien à la DragonCon, et je lui ai dit : « On devrait regarder Stranger Things, tout le monde en parle ». Elle m’a répondu : « D’accord, on regardera ça ensemble quand tu rentreras ». Je l’ai rappelée deux jours plus tard et elle avait déjà tout regardé ! (rires) Son mari n’était pas là, elle s’ennuyait et elle a regardé tous les épisodes ! Elle l’a ensuite regardé à nouveau avec moi, c’est dire si elle a aimé. J’ai vraiment beaucoup apprécié. The Goonies était l’un de mes films préféré quand j’étais enfant. J’entends beaucoup dire que Stranger Things surfe sur la nostalgie des années 80, mais les gens ne réalisent pas forcément qu’il s’agit de nostalgie tournée vers le cinéma et la télé, pas vers le Rubik’s Cube, par exemple. C’est un long film qui reprend les codes de E.T., Gremlins, Les Goonies, Rencontres du troisième type, ce genre de films, et qui réutilise leur esthétique de façon extrêmement cool et intéressante. J’ai adoré cet aspect. Et les performances des acteurs, surtout les enfants, sont formidables. Si vous n’avez pas vu cette série, vous devriez ! Vous aimerez plus spécialement si vous aimez les films des années 80. La série reprend toute cette esthétique pour en faire un film qui pourrait avoir été réalisé à cette époque. C’est vraiment bon.

Merci pour votre temps, Brandon !
Merci à tous les deux !
  1. Première partie
  2. Deuxième partie
  3. Troisième partie
  4. L'interview en V.O.

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