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Un entretien fleuve avec Brandon Sanderson !

Par John Doe, le dimanche 4 décembre 2016 à 12:20:48

Deuxième partie

Avez-vous déjà eu une idée de nouvelle ou de novella qui se soit transformée en roman, voire en série ? Pensez-vous que certaines de vos novellas les plus longues, comme Légion ou L’Âme de l’Empereur, auraient pu devenir des romans ?
C’est difficile à dire. En tant qu’auteur, j’arrive généralement à évaluer la longueur. C’est dû au fait que j’ai tellement écrit au fil des années. Je suis très à l’aise avec mon processus et je sais à peu près quelle sera la longueur d’une histoire. Le seul exemple qui me vient est L’Alliage de la justice. Je savais que je voulais écrire davantage dans le monde de Fils-des-Brumes et j’ai donc essayé d’écrire une nouvelle qui parlait de Wayne, mais ça n’a pas marché. Wayne ne faisait pas l’affaire en tant que personnage principal, il était trop bizarre pour ça. J’ai donc tout mis à la poubelle et j’ai écrit un roman à la place. La nouvelle n’est pas vraiment devenue un roman, mais je me suis rendu compte qu’elle ne fonctionnait pas. Comme j’étais vraiment intéressé par ce qui se passait dans cet univers, j’ai écrit L’Alliage de la justice en me basant sur ce que j’avais réussi à sauver de cette nouvelle. C’est la seule fois où une nouvelle s’est transformée en roman, mais il y a eu une étape intermédiaire où j’ai tout jeté. Je dirais qu’il est possible que certaines de ces histoires courtes soient devenues des romans, mais j’aime vraiment beaucoup le format novella et je suis ravi que les choses se soient passées de cette façon.
Pourrait-on envisager une série de dix romans pour Légion, s’il-vous-plaît ?!
J’aimerais vraiment écrire plus d’épisodes ! Il y en a un autre de prévu. Légion était à la base pensé comme une série télé. La première novella était une preuve de concept, c’est-à-dire quelque chose que l’on peut envoyer aux gens qui réalisent des séries pour leur montrer que le concept fonctionne. L’intérêt était important, tout se passait très bien, et puis Marvel est arrivé avec une série télé appelée Légion, basée sur leur super-héros, et toutes nos chances se sont évaporées. J’ai prévu d’écrire un épisode de plus pour que les personnages aient droit à une conclusion décente, mais à moins que la série ne prenne, je ne m’attends pas à ce qu’il y en ait d’autres.
Bien qu’il y ait toujours beaucoup d’humour dans vos romans, les univers et les histoires que vous créez ont toujours un côté très « sérieux ». La seule exception est Alcatraz, qui fait l’effet de véritables montagnes russes. D’où viennent Alcatraz, les Bibliothécaires et les Royaumes Libres ? La série est tellement différente du reste de votre bibliographie !

Alcatraz est ce qui m’a appris que j’avais besoin de changer de projets. Le premier livre que j’ai écrit sous contrat était Fils-des-Brumes. J’avais vendu Elantris et j’ai signé un contrat pour deux livres, le deuxième étant Fils-des-Brumes. J’ai donc écrit L’Empire ultime, et mon objectif était de boucler le troisième tome de la trilogie avant même d’avoir à rendre le premier. Comme ça, je pouvais être sûr de la continuité, parce que je n’avais encore jamais écrit de série. Mais après avoir écrit le deuxième tome, j’étais fatigué de la série. J’en avais tellement assez ! Je ne m’étais encore jamais forcé à écrire dans le même univers aussi longtemps, je suis devenu dingue et j’ai eu envie de quelque chose de différent. Ce quelque chose était Alcatraz. Cette série a vu le jour parce que j’étais lassé d’écrire Fils-des-Brumes. Je suis allé trop loin dans le monde de Fils-des-Brumes et ce qui a vu le jour après ça est ce que j’ai écrit de plus bizarre. Un jour, j’étais à l’église et j’ai écrit la première phrase dans mon téléphone : « Et donc, j’étais là, ligoté sur un autel d’encyclopédies périmées, à deux doigts d’être sacrifié aux forces du mal par une secte d’infâmes Bibliothécaires ». Ça m’a fait glousser et je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’écrive ce livre. Dès que j’ai terminé Fils-des-Brumes 2, celle qui était à l’époque ma petite amie est partie en vacances, donc je n’avais plus cette distraction. Je raconte souvent que je me suis caché sous une table avec mon ordinateur portable et que j’ai écrit ce truc bizarre et un peu dingue pendant trois semaines, pour préserver ma santé mentale. Toute la folie est sortie de ma tête pour finir sur le papier.

Les mondes et les systèmes de magie que vous développez dans vos livres sont incroyablement complexes, détaillés, voire « réalistes ». Combien de temps passez-vous à travailler sur un nouveau système de magie ? La phase de planification peut-elle devenir plus longue que l’écriture elle-même ? Détaillez-vous tout à l’avance ou vous autorisez-vous à être « surpris » par votre propre univers et à découvrir des éléments pendant l’écriture ?

Excellente question ! Je dirais qu’il faut savoir équilibrer. On ne peut pas tout planifier, sinon l’écriture manque de spontanéité et de l’étincelle nécessaire pour que l’histoire paraisse réaliste. Je suis par nature un planificateur : je pense qu’avoir une ébauche solide m’aide à écrire de meilleures histoires. Mais je ne peux pas tout prévoir. En fonction de la série et du livre, je peux passer beaucoup de temps sur la phase d’ébauche. J’ai consacré deux ans à Roshar avant de commencer à écrire le livre – et je ne parle que de la version écrite en 2003. Mais pour d’autres romans, je m’autorise à être beaucoup plus spontané. Tout dépend de la durée prévue pour la série. Pour Roshar, où j’ai prévu dix livres, j’ai dû inclure dans le premier tome des références à des éléments qui ne seront pas pertinents avant très longtemps. Je dois donc les intégrer au roman et m’assurer d’avoir des plans pour la suite. Mais même dans ce cas, il faut pouvoir être flexible. Je cite souvent Fils-des-Brumes et l’histoire de Spook en exemple. Dans le troisième tome, un personnage secondaire des deux premiers devient un personnage principal, ce qui n’était pas prévu. Au fur et à mesure de l’écriture, ce personnage a fini par me passionner. Je me suis donc autorisé à lui construire une histoire intéressante dans ce troisième tome, une histoire complètement spontanée, qui ne faisait pas partie de l’ébauche générale. Je me laisse cette flexibilité pour m’aider à développer des personnages vivants. C’est très curieux : je planifie bien davantage mon univers que mes personnages. Pour les personnages, je me contente de faire des tests, je distribue les rôles un peu comme je le ferais avec des acteurs. J’écris un chapitre de leur point de vue et je me demande si ça fonctionne. J’ai fait ça trois fois avec Vin pour Fils-des-Brumes. J’ai testé trois personnalités différentes, et c’est seulement à la troisième que je me suis dit que je tenais le bon personnage.

Quelles étaient les deux premières ?

Dans la première version, elle était beaucoup trop sûre d’elle et ça ne fonctionnait pas. Elle ressemblait un peu au Renard (dans Oliver Twist de Dickens) : dégourdie, confiante, prenant les choses en mains. Ça ne marchait pas du tout. Je trouvais que cette gamine des rues espiègle qui savait tout faisait trop cliché. J’ai aussi tenté d’en faire un personnage masculin, mais ça ne fonctionnait pas non plus. Vous pouvez lire ces chapitres en anglais sur mon site Internet. Je les ai mis là pour dire aux lecteurs : « Voici des acteurs différents dans le rôle ». Il suffit d’organiser un casting, jusqu’à trouver le bon acteur.

L’un des éléments les plus marquants dans vos romans est votre façon de rendre les scènes de combat très vivantes. En cas d’adaptation à l’écran, les scénaristes n’auraient qu’à suivre le livre, car les combats se lisent comme des scènes de film. Dessinez-vous des cartes quand vous décrivez un combat ? Par exemple, une carte des rues pour les combats entre Allomanciens dans Fils-des-Brumes, ou une carte de tous les plateaux pour Les Archives de Roshar ?

Ça m’arrive. Parfois, je dis à Isaac, mon directeur artistique : « J’ai besoin de quelque chose qui ressemble à ça. Peux-tu le dessiner ou demander à quelqu’un de le faire pour que je puisse décrire l’endroit avec précision ? » Mais écrire une bonne scène de combat dans un livre est un vrai défi. Dans un film, on peut se contenter de regarder Jackie Chan taper sur des gens pendant vingt minutes et c’est très divertissant – boum, boum, boum. Mais si j’écrivais ça dans un roman (« Il le frappa ; il le frappa en retour. Il lui donna un coup de pied ; il lui en donna deux »), ce serait vraiment ennuyeux ! Apprendre à écrire les scènes de combat a été difficile. La clé a été de les prendre sous l’angle de la résolution de problème. Les personnages sont là pour résoudre un problème : qu’essaie de faire Vin ou Wax dans cette scène ? Qu’essaient-ils d’accomplir, quels sont leurs problèmes ? Si on peut suivre ce que le personnage tente d’accomplir, on peut ressentir sa créativité pendant qu’il essaie de résoudre son problème. Pour ça, il va généralement utiliser ses poings ou ses pouvoirs. Mais ça reste la même chose : j’ai un problème, je dois le résoudre, si possible de façon créative. Au final, c’est comme ça que fonctionnent les scènes de combat.

Elantris était à l’origine pensé comme un roman autonome. À quoi peut s’attendre le lecteur dans les deux suites prévues pour 2020 et 2022 ? La fin était-elle vraiment censée être définitive lorsque vous avez écrit Elantris en 2004 ?

Au début de ma carrière, je cherchais à écrire des premiers romans qui fonctionnaient de façon autonome. J’essayais de percer et ma philosophie était que si j’écrivais une suite, aucun éditeur n’allait en vouloir. Si un éditeur lisait Fils-des-Brumes et me disait : « C’est bien, mais je n’en veux pas. Envoyez-moi ce que vous avez d’autre », je ne pouvais pas lui envoyer Fils-des-Brumes 2. Il n’allait pas acheter ça. Tout ce que j’écrivais se passait donc dans un monde différent. Mon objectif était d’écrire des romans indépendants qui aient un potentiel pour des suites. Pour chaque livre que j’ai écrit, je savais où aller dans ce monde précis si je devais écrire des suites – si je vendais le premier tome. Le souci est que, quand j’ai finalement vendu Elantris, je l’avais écrit depuis très longtemps. J’avais également le sentiment qu’Elantris était l’un des romans qui marchait le mieux tout seul. J’ai donc dit à l’éditeur : « Je pense que le sortir en tant que roman indépendant est mieux pour ma carrière. Laissons au lecteur une chance de le découvrir sans s’embourber dans une série interminable ». Il me plaisait tel quel, individuellement. Ceci étant dit, j’avais des ébauches pour d’éventuelles suites. J’ai toujours pensé ces suites dans le style d’Anne McCaffrey : elle écrivait un livre, puis un personnage de ce livre devenait le personnage principal d’un autre roman – et un personnage de ce roman devenait ensuite le personnage principal de sa propre histoire. On voit beaucoup ça dans les romans young adult, de nos jours. Il y a cette idée que les livres constituent une série, mais que chacun d’eux peut être lu individuellement. C’est ce que je ferai pour les suites d’Elantris. Elles ne parleront pas des mêmes personnages. Les personnages d’origine pourront faire une apparition, mais le livre tournera autour de personnages différents, comme les enfants de l’oncle de Sarene, Kiin. Voilà à quoi il faut s’attendre.

Avez-vous décidé dès le départ de relier toutes vos histoires fantasy à un grand Cosmere et à les faire interagir, ou ce concept a-t-il vu le jour après plusieurs romans ?

D’une certaine façon, j’ai de la chance de ne pas avoir été publié pendant si longtemps. Pour ceux qui l’ignorent, j’ai écrit treize romans avant d’en vendre un seul. Pendant que je travaillais sur ces livres, je pensais à la façon dont Isaac Asimov, à la fin de sa carrière, avait relié son cycle des Robots et son cycle de Fondation. Il a jeté des ponts entre ses deux grandes séries, et quand je les lisais, gamin, je trouvais ça absolument génial ! J’avais envie de faire la même chose. Quand j’étais lecteur, en particulier dans mon adolescence et dans la vingtaine, j’adorais insérer mes propres personnages dans les livres. Je ne sais pas si vous faites ça aussi – je vous vois sourire, ça doit vouloir dire que oui ! Quand je lisais, mon personnage secret était impliqué en coulisses dans l’histoire. Ce personnage est devenu Hoid, celui qui envahit les univers des autres. Quand j’ai écrit Elantris, je l’ai vraiment inclus. Cette idée me plaisait tellement que j’ai commencé à bâtir le Cosmere autour de ce point. Je suis revenu en arrière et j’ai écrit Dragonsteel, qui est l’« origin story » de Hoid. J’avais une quantité d’idées formidables, mais les livres ne se vendaient pas – jusqu’à Elantris, où c’était la première fois qu’il faisait une apparition, qui plus est en tant que vrai personnage. Du coup, au moment de planifier Fils-des-Brumes, j’ai soumis cette idée à mon éditeur : la trilogie de trilogies, le Cosmere, ce genre de choses. Ça a évolué naturellement avant que je ne sois publié, et une fois que je l’ai été, j’avais la chance d’avoir déjà réfléchi à cette idée complètement folle. La réponse à la question est donc oui et non : le Cosmere est là depuis le tout premier roman publié, mais pas depuis le premier roman que j’ai écrit. Il n’existait pas dans les cinq premiers romans – Elantris était le sixième.

Envisagez-vous d’écrire un roman ou une histoire plus courte à propos du saut entre les mondes, ou cette notion est-elle destinée à rester en arrière-plan ? : Non, il y aura des histoires à ce sujet. Pour ceux qui l’ignorent, mes séries de fantasy épique sont toutes liées. Le problème, c’est que je ne veux pas que cet aspect distraie le lecteur de l’histoire. Par conséquent, quand le saut entre les mondes sera un élément crucial du livre, je l’annoncerai dès le départ. Par exemple, Roshar ne parlera jamais de ça, même si des choses ont lieu en coulisses. Mais il y aura des séries et des histoires centrées sur cet aspect à l’avenir. La première est d’ailleurs ''Mistborn
Secret History. Le saut entre les mondes y joue un rôle important. Je ne sais pas du tout comment nous allons nous débrouiller pour sortir cette histoire en français ! L’idée est éventuellement de la caser à la fin de Bands of Mourning, ou au début de The Lost Metal'', la dernière aventure de Wax et Wayne, ce qui serait encore mieux. On trouvera un moyen. Mais ce genre d’histoire va être de plus en plus fréquent.
Même question concernant un roman ou une série qui rassemblerait plusieurs personnages venus des quatre coins du Cosmere ?
Oui, c’est possible, mais je n’ai pas envie de proposer les Avengers du Cosmere. L’idée n’est pas de collectionner les personnages, mais plutôt de parler de l’histoire d’une petite galaxie, de l’histoire de ces mondes et de leurs interactions. Il est donc beaucoup plus probable que vous verrez interagir de nouveaux personnages venus de mondes différents plutôt que le best of des personnages connus. Certains personnages seront réguliers. Je ne veux rien spoiler, mais en ce qui concerne le monde de Fils-des-Brumes, vous en connaissez déjà certains – ceux qui sont passés de la trilogie originale à la trilogie de Wax et Wayne. Il y aura une continuité à ce niveau. Mais l’objectif n’est pas de rassembler les grands noms, je préfère raconter l’évolution d’un monde et d’un univers. Il y a beaucoup d’histoires à raconter qui ne concernent pas seulement la réunion de tel et tel super-héros dans l’optique de sauver le monde. Je préfère me consacrer aux interactions entre ces planètes à l’avenir.
  1. Première partie
  2. Deuxième partie
  3. Troisième partie
  4. L'interview en V.O.

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