Vous êtes ici : Page d'accueil > Interview exclusive

Thierry Arson répond à nos questions

Par Gillossen, le dimanche 5 avril 2009 à 11:00:00

AcaciaSur Elbakin.net, nous apprécions de pouvoir varier les types d'interviews que nous réalisons.
Bien que cela ne soit pas la première fois, les traducteurs n'ont toutefois pas encore été souvent à l'honneur dans nos colonnes. Aujourd'hui, c'est donc à Thierry Arson, traducteur émérite de dizaines de romans - et pas uniquement des œuvres de fantasy - de répondre à nos questions, après avoir bien voulu accepter de se prêter au jeu avec enthousiasme et bonne humeur.
Nous espérons que cela vous permettra de mieux connaître son parcours, ses coups de cœur, mais aussi plus généralement tout ce qui touche à ce métier. Thierry Arson a notamment traduit Acacia et devrait bientôt s'atteler à sa suite !

En discuter sur le forum

Nos questions, ses réponses

Pourriez-vous, pour nos lecteurs, nous brosser votre parcours, notamment dans le domaine de la traduction ?
Atypique, je dirais, si l'on prend en compte le fait que je n'ai pas suivi des études spécifiques pour accéder à cette profession.
J'ai commencé et terminé mes études en redoublant (le CP et la 1ère). Sans doute un souci inconscient de cohérence. Les dernières années, j'écoutais tellement Beatles, Kinks, Who et Dylan que ma moyenne générale en était devenue aussi potable que l'eau du Gange – même si j'étais assez bon en anglais. J'ai donc laissé tomber les études, et j'ai enchaîné des emplois assez divers, de portraitiste de rue à acheteur – approvisionneur à Airbus Industrie sur le programme A-300, ou patron associé de crêperie, en passant par marionnettiste, barman dans une taverne à bières et autres livreur d'électroménager ou contrôleur en 3/8 dans une usine de traitement de l'azote.
J'ai aussi eu la chance de rencontrer une Irlandaise charmante avec qui j'ai vécu quelques années, ce qui m'a permis de perfectionner mon anglais.
Curieusement, ça m'a dégoûté de la Guinness, allez savoir pourquoi.
Et puis un soir, par hasard, j'ai rencontré un traducteur dans un petit club de jazz. A l'époque, je me tournais furieusement les pouces. Il m'a conseillé de proposer mes services aux maisons d'édition, comme traducteur. J'adorais déjà la langue anglaise, mais je ne croyais pas trop à une "ouverture", de par mon absence de diplômes en la matière. J'ai quand même décroisé les pouces et je me suis lancé. Les Presses de la Cité, en la personne de Marie-Noële Artuphel que je tiens ici à saluer et remercier très sincèrement pour sa gentillesse, son écoute et ses conseils, m'ont donné ma chance avec un essai. J'ai transformé et l'on m'a confié la traduction d'un monument (injustement oublié) de la littérature du XXème siècle : la novellization de Rambo III. Mon seul regret : ils ont oublié de faire figurer mon nom pour la trad. lors de la parution en poche. C'est là une plaie béante qui jamais ne se refermera, croyez-moi.
Par la suite j'ai traduit un peu de tout et dans des domaines variés (une grosse centaine d'ouvrages), avec quand même un axe plus marqué Fantastique-SF-Thrillers, où j'ai retrouvé la liberté de création d'auteurs qui inventent leurs propres limites, et ils ont bien raison. Enfin, d'après moi.
Quelles sont les œuvres de fantasy sur lesquelles vous avez travaillé (puisque c’est plus précisément ce genre qui nous intéresse) ? Avez-vous gardé en mémoire encore aujourd’hui des romans coups de cœur ?
Là, je dois me montrer très prudent, parce que je m'expose à un lectorat de spécialistes ! Je crois que le seul roman qui relève véritablement du genre est Acacia. Dans une catégorie proche, peut-être la trilogie du Codex Merlin de Robert Holdstock (un excellent souvenir). Dans la domaine du fantastique, où j'ai sévi plus souvent, j'ai beaucoup apprécié la trilogie Anno Dracula de Kim Newman, une uchronie réjouissante hélas jamais rééditée depuis sa publication chez J'ai Lu, au début des années 90 ; et puis une expérience unique : le cycle Scarabae de Tanith Lee, avec l'ambiance envoûtante propre à cette auteure ; et dans une veine plus traditionnelle, Robert McCammon, James Herbert ou E.E. Knight, entre autres.
Êtes-vous en contact avec les auteurs que vous traduisez ?
Aujourd'hui, avec le développement d'Internet, les auteurs ont presque tous un site perso mentionné dans l'exemplaire de leur version papier en VO. Je prends donc contact par mail avec l'auteur dès que l'on me confie un de ses livres pour lui demander si, le cas échéant, il accepterait de m'éclairer sur tel ou tel détail, afin que la VF soit aussi fidèle que possible à l'esprit du texte d'origine. En règle générale, les auteurs anglo-saxons sont très coopératifs.
A ce jour et selon mon expérience limitée, l'auteur le plus attentif à la traduction de ses écrits et à son suivi est sans conteste David A. Durham.
Comment se déroule l’une de vos journées de travail type ?
A dire vrai, je n'ai pas de journée type de travail. Je sais bien que certains traducteurs sont coincés par des horaires quelque peu bureaucratiques (8H-12H et 14H-18H), qui souvent découlent de paramètres familiaux. Personnellement, j'ai la chance de ne pas devoir fonctionner selon ce genre de schéma pré-établi. Il m'arrive donc de passer des nuits entières à traduire, week-end ou pas, mais quand le texte est bon ce n'est pas du boulot, c'est du plaisir. Par ailleurs, si le traducteur n'a pas la même passion que le lecteur, est-ce qu'il peut vraiment traduire comme il le devrait ? Donc, pour le premier jet, je suis plutôt adepte de l'immersion totale. Ensuite je retourne à l'air libre, je respire un peu et je passe à la phase de révision.
Quelle est, selon vous, la plus grande difficulté pour un traducteur ? Les jeux de mots ?
Les jeux de mots sont en effet difficiles à rendre, très souvent. Parfois c'est même impossible, tout bonnement, et le recours à une note en bas de page tuerait forcément l'effet visé, donc c'est raté d'avance. S'il est laborieux, l'humour rate son but. Du coup, on s'efforce de faire passer l'humour du texte d'origine sur d'autres répliques ou situations, et certains puristes vous en veulent.
L'important est de transmettre au mieux l'ambiance qui baigne un récit, avec tout ce qui fait qu'on accroche complètement à une narration. C'est le défi principal de la traduction, à mon avis : rendre au mieux les nuances voulues par l'auteur. La récompense suprême du traducteur étant qu'on ne parle pas de lui, parce que la trad. coule d'elle-même : alors le lecteur ou la lectrice recommande le livre parce qu'il ou elle l'a aimé dans sa version française, sans même penser que ce n'est pas la version d'origine.
Est-ce que votre domaine d’activité déteint sur vos lectures ? Autrement dit, vous retrouvez-vous à “juger” le travail de vos confrères lorsque vous lisez un ouvrage en VF ?
Ma réponse reprendra un peu l'argument développé dans la précédente. Tant qu'un livre en VF "coule", je me laisse aller au plaisir de la lecture. Quand je sens du mot à mot ou un côté laborieux dans le phrasé (qui peut cependant devoir beaucoup à la VO), ça me gêne un peu. De là à m'ériger en "juge"… pour reprendre une expression de nos amis anglo-saxons : Definitely not.
Lisez-vous beaucoup en VO en dehors des romans que vous avez à traduire ?
Assez peu, actuellement. Je m'essaie au russe, mais c'est assez ardu. En anglais, je me croyais plutôt pas trop mauvais, et là je vois bien qu'en russe je suis une brêle intégrale ! C'est une expérience somme toute salutaire.
Quels sont vos goûts littéraires ?
C'est très variable au gré des années. Tolstoï, Poe, London, Homère, etc. Récemment j'ai relu L'Intégrale des nouvelles de Stevenson chez Phébus Libretto, et j'avais pour projet de me replonger dans les NéO Fantastique. Les regrettées Editions Oswald avaient fait un boulot extraordinaire. J'ai près de 200 volumes, achetés à prix réduits dans les solderies quand la maison d'édition a fait faillite. J'ai toujours été fana de R.E. Howard. J'adore. Tout comme la série des "Doc Savage" parue chez Marabout. En bref, j'aime ce qui fait rêver le lecteur. Il fut un temps où je me concoctais des week-ends spéciaux SDA. Je le relisais tous les trois mois.
Dans un genre différent, je m'intéresse beaucoup à la mythologie russe, actuellement, et je me suis plongé dans Les Contes Populaires Russes d'Afanassiev, pour un projet perso. Et dans les poésies chantés de Grigorii Leps. J'ai aussi commandé de nouveau (je l'ai déjà offert une demi-douzaine de fois, mais ce coup-ci il est pour moi) In The Court Of The Crimson King de King Crimson sur Amazon, que je conseille à tout fan de fantasy-fantastique-SF, pour les lyrics autant que pour la musique. C'est d'ailleurs quelque chose qui m'a toujours étonné : pourquoi ne pas faire le lien entre la littérature et la musique, la peinture ? Il m'a toujours paru évident que l'imaginaire ne se confinait pas à une seule forme d'expression… Enfin, vaste débat…
Mais tout ça, c'était avant de recevoir la première mouture de The Other Lands, évidemment. Depuis, c'est la priorité. Et un grand plaisir.
Que représente pour vous l’expérience Acacia ?
Une chance et un coup de cœur. Une chance parce que le premier volet, je l'aurais de toute façon acheté et que j'aurais été transporté par sa lecture. Un coup de cœur pour la main qui écrit, l'homme qui manie le stylo et son attitude envers son lectorat. J'ai approché pas mal d'auteurs anglo-américains. Il ne m'appartient évidemment pas de quantifier leur talent (même si… bon, OK, j'arrête là), mais je crois savoir déceler certaines qualités humaines, et dans ce registre il me semble que David fait passer un peu plus qu'un texte de fantasy. Ou je n'y connais rien, ou c'est la marque des vrais écrivains.
Êtes-vous impatient de vous lancer dans la suite ?
Euh… comment dire "Non" après ce qui précède ? J'ai reçu la version non corrigée, et j'attends avec impatience le "Copy-edit". En clair, je trépigne d'impatience, évidemment !
Votre carrière est déjà bien fournie, vous avez touché à tous les genres… Avez-vous remarqué des changements dans le métier ?
Les éditeurs sont devenus beaucoup plus exigeants sur la qualité des traductions, ce qui ne peut qu'aller dans le bon sens, d'après moi. J'en profite d'ailleurs pour souligner le rôle des correcteurs et correctrices qui font sur le texte traduit un travail de peaufinage remarquable, trop souvent passé sous silence à mon avis. Ils ont pourtant un rôle majeur dans ce qui fait la qualité d'une traduction : la finition. Ils cisèlent le texte, et sans leur intervention ce que vous lisez page après page n'aurait peut-être pas la cohérence et le "coulé" que vous appréciez.
Quelle est selon vous la place des traducteurs dans le petit monde littéraire ?
La traduction représente un maillon déterminant de la chaîne, pour transmettre la justesse d'un texte d'une langue à une autre. Son rôle s'arrête là. En gros, le traducteur, c'est l'homme invisible. Comme je l'ai déjà dit, quand on le remarque, c'est qu'il a mal fait son boulot. En ce qui concerne le petit monde de l'édition, j'avoue qu'après vingt ans j'endosserais volontiers les hardes de l'Hermite du Tarot, pour autant que je mérite un tel honneur.
Etant donné votre carrière justement, auriez-vous une anecdote, amusante ou non, à nous faire partager ?
Mmh… J'ai souvenir d'un roman historique. Décor : le Moyen Âge, le roi, la reine, intrigues et poisons, un soupçon de magie… Bref, j'avais pris un certain plaisir à introduire des "mécréant", "peu me chaut" ou "nonobstant" qui ne juraient en rien avec la VO. D'entrée, au lieu d'un "Mon aimée", j'avais opté pour "Ma Mie" quand le roi s'adressait à la reine. Correction des épreuves : aucun problème. Livre publié : aucun problème, jusqu'à ce que dans la publication définitive "Ma Mie" se transforme en "Mamie" dans la deuxième partie du roman. Appeler la reine "Mémère" dans les scènes intimes, après 200 pages, c'est le genre de détail qui risque de casser un peu le plaisir de la lecture…
Envisagez-vous de rencontrer David Anthony Durham lors de sa visite en France en mai prochain ?
S'il a un peu de temps libre, ce sera évidemment avec le plus grand plaisir. Le champagne est au frais, et le caviar rouge doit arriver bientôt de Saint-Pétersbourg. Il est au courant : nous sommes en contact suivi via le Net. Il a décliné pour le foie gras, parce qu'il est quasi végétarien. Par ailleurs son emploi du temps sera assez serré et il m'a dit n'être pas certain d'avoir le temps de trop s'attarder à Paris.
Mais bien sûr, j'ai très envie de le rencontrer. Comme écrivain, comme être humain. J'ai l'impression que chez lui le mélange est plutôt réussi.
Vous allez être particulièrement occupé dans les semaines à venir… Que peut-on vous souhaiter pour la suite de cette année 2009 ?
Etre aussi heureux que je le suis actuellement. Dans des domaines différents (quoique) faire des découvertes aussi enrichissantes que Acacia II, le site Elbakin.net ou les disques de Grigorii Leps, comme ça a été le cas dans les douze mois écoulés. Et n'allez pas croire que je vous passe la brosse à reluire : la preuve, Grigorii Leps ne sait même pas que je l'écoute en boucle.
Et, bien sûr, me voir toujours confier des traductions malgré tout ce que je viens de dire (!)

Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :