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Sébastien Guillot revient sur la collection fantasy de Calmann-Lévy

Par Luigi Brosse, le mercredi 26 octobre 2005 à 19:38:32

Sébastien GuillotDécidé et enthousiaste jeune homme de 31 ans, Sébastien Guillot, après 4 ans chez Folio SF et une présence remarquée également chez l'atypique éditeur Terre de Brume, se retrouve à la tête de la toute nouvelle collection fantasy de Calmann-Lévy.

Entre le lancement de ladite collection au début du mois, et la foire du livre de Francfort, il a aimablement accepté de répondre à nos questions !

Attention, pas de langue de bois !

Nos questions, ses réponses !

Premièrement, une question d'actualité ! Comment vous sentez-vous au moment du lancement officiel de cette collection ? Heureux, fébrile, stressé ?
Stressé, non. Nous avons fait le maximum pour réussir ce lancement, le succès des trois bouquins dépend désormais de facteurs sur lesquels, en grande partie, je n'ai plus prise. Les dés sont jetés ! Pourquoi, dès lors, se rajouter du stress inutile ? Evidemment, je regarde d'un oeil (attentif...) les premiers chiffres de vente - mais il est beaucoup trop tôt pour en tirer la moindre conclusion -, et surtout je travaille sur les bouquins et projets à venir... qui tendent à me prendre beaucoup de mon énergie.
Le sentiment que j'ai eu en voyant les trois premiers livres sur mon bureau a plutôt été de l'ordre du soulagement. Nous avons passé un an à préparer ce lancement, un an de stress pour le coup, à réfléchir aux meilleurs moyens de promouvoir ces livres, à roder toute une équipe autour d'un genre littéraire malgré tout bien spécifique... et tout ça sans voir le moindre livre, évidemment. L'instant où vous découvrez pour de vrai le fruit de votre travail est vraiment magique, il vous redonne un sérieux coup de fouet.
A-t-il été facile de convaincre un éditeur comme Calmann-Lévy, qui a délaissé la « littérature de l'imaginaire » durant un certain temps, de tenter à nouveau cette aventure ?
Contre toute attente, ce fut relativement aisé. Depuis quelques années déjà, les Editions Calmann-Lévy se sont engagées dans une démarche de redéploiement éditorial qui laissait assez naturellement la place à un projet de ce type : une collection spécialisée à vocation grand public conçue dès l'origine pour « tirer vers le haut », à tous points de vue, un domaine littéraire qui ne demande que ça. Le projet que j'ai présenté prenait évidemment en considération toute une démarche commerciale le rendant crédible vis-à-vis d'un éditeur généraliste. Dans ce contexte, le rappel de la mythique collection Dimensions SF m'a surtout servi de levier pour crédibiliser un tel projet au sein de cette maison d'édition - les deux collections, à vingt ans d'intervalle, ne sont évidemment guère comparables.
Vos engagements (respect du découpage voulu par l'auteur, délai de 6 mois entre deux tomes d'un même cycle...) ont-ils été ardus à imposer ? Certains de vos confrères multiplient les découpes...
Lesdits engagements faisaient partie intégrante du projet tel qu'il a été initialement proposé aux responsables de Calmann-Lévy. De mon point de vue, ils s'intégraient nécessairement aux objectifs qualitatifs que je m'étais fixés pour cette collection, objectifs qui tout simplement correspondent à mon propre parcours de lecteur un tant soit peu représentatif : je n'aime pas particulièrement attendre des mois pour lire la suite d'un ouvrage qui m'a plu, et je ne suis guère amateur des cycles dont on ne voit pas poindre la fin... Mais cela correspond aussi, tout simplement, à une réflexion d'ordre commercial (eh oui, encore...) : il me paraissait important que tous les tomes d'un même cycle soient disponibles simultanément en librairie, et vu la durée de vie d'un ouvrage sur les rayons, rapprocher les publications devient un véritable impératif. Sans compter que cela assure une présence rapidement perceptible par les libraires et les lecteurs aux auteurs que je souhaite promouvoir. Toujours est-il que ces arguments ont porté, tout comme celui d'apporter un soin tout particulier aux traductions de nos ouvrages - Calmann-Lévy ayant une longue tradition littéraire derrière elle, cela allait un peu de soi, mais cela implique des frais de traduction guère habituels dans ce domaine littéraire. Tout ceci allant de pair avec un choix fondateur, celui de proposer une ligne éditoriale immédiatement identifiable par les lecteurs : nous publierons exclusivement dans cette collection des ouvrages relevant de la fantasy épique. Pas de fantasy urbaine ou de réalisme magique... Mon champ d'investigation demeure néanmoins plus que vaste, et une telle démarche devrait permettre, à terme, de fidéliser un lectorat. Du moins je l'espère !
Ne craignez-vous pas que certains justement s'imaginent que le lancement de cette collection n'est qu'une « récupération » de la fantasy par un éditeur mainstream ?
Je n'ai aucune crainte en la matière, car ils ont tout à fait raison ! C'est d'ailleurs tout l'enjeu de cette collection : qu'une maison d'édition mainstream applique à la fantasy une démarche et des moyens habituellement réservés à la littérature générale. Ce n'est pas la pire des choses qui puisse arriver à ce genre littéraire... Bien évidemment, l'acceptation par Calmann-Lévy d'un tel projet est lié à un contexte éditorial où la fantasy a le vent en poupe ; évidemment, nous espérons vendre une quantité tout à fait indécente de - bons - bouquins.
Pensez-vous que l'on puisse encore se passer de titres véritablement « commerciaux », mis en avant bien sûr pour pouvoir se permettre d'éditer à côté d'autres romans plus atypiques, mais au prix de cycles interminables et pas forcément du meilleur goût ?
Tout est affaire de compromis, et « commercial » n'est pas le synonyme obligé de « mauvais ». L'économie de n'importe quelle collection, et au niveau supérieur celle d'une maison d'édition, procède toujours d'un subtil équilibre entre des ventes - plus ou moins - assurées par des ouvrages faciles d'accès et des coups de coeur éditoriaux, des expérimentations. A titre personnel - mon expérience du poche est là clairement visible -, j'intègre cette contrainte à la source. Les bouquins que je publie ne sont pas tous publiés pour les mêmes raisons, le tout est de rester cohérent dans ses choix et de conserver un niveau d'exigence en dessous duquel on se refuse à aller. Ça ne me pose, honnêtement, aucun problème.
En prolongement, quelle est votre opinion sur le paysage actuel des éditeurs fantasy en France ?
Beaucoup d'éditeurs, de nombreux livres publiés - pas toujours de manière judicieuse -, mais une évolution qui me paraît finalement assez saine ces dernières années. L'explosion récente du nombre de titres semble avoir répondu à un réel besoin jusque-là inassouvi ; d'une manière ou d'une autre, cependant, tout cela va se calmer et se réguler - à un niveau de ventes qui demeurera je pense structurellement important. Le paysage actuel va arriver à maturation, avec quelques grands acteurs qui auront su imposer un positionnement suffisamment spécifique et intelligible par leur lectorat.
Calmann-Lévy vous a-t-il imposé des objectifs de ventes précis ?
Oui. Tacitement ou de manière plus explicite, on m'a fait part des espérances placées dans cette collection. C'est une donnée de base, que j'accepte et qu'il me faut prendre en considération dans la construction de mon programme. Au demeurant, Calmann-Lévy me donne tous les moyens nécessaires pour les atteindre. Si cette collection connaît un échec cuisant, ce qui bien entendu est inenvisageable (...), il sera difficile de ne pas l'imputer aux choix de son responsable...
Pouvez-vous nous décrire la journée type d'un éditeur tel que vous ? En dehors des pause café et du temps perdu à répondre à des zozos comme moi !
Il n'y a pas à proprement parler de « journée type », les tâches à effectuer pour mener à bien la publication d'un livre sont suffisamment variées pour éviter toute routine. J'arrive le matin entre huit heures et... 10h30, je bois deux cafés d'affilée - plus de cigarettes depuis quelques années maintenant. Ouverture des emails, personnels et professionnels, réponse aux urgences. Puis en fonction des priorités du moment, rendez-vous divers avec des zozos comme vous, plongée dans une supervision de traduction, lectures, réponse aux urgences (bis)... et départ vers 19h / 19h30, pour des destinations qui ne vous regardent pas. N'ayant pas le statut de salarié, j'ai en fait pas mal de libertés quant à l'organisation de mon emploi du temps. Cela peut passer aussi par des phases d'isolement à mon domicile quand le besoin (professionnel, évidemment...) s'en fait sentir.
Au fil de votre parcours (Folio, Terre de Brume, et maintenant Calmann-Lévy), pensez-vous avoir élaboré une patte Guillot, et si oui, comment la définir ? Ou sans aller aussi loin, quelles sont vos attentes et les qualités qui font pencher la balance pour tel ouvrage plutôt qu'un autre ?
N'ayant pas moi-même écrit les ouvrages que je publie, je n'ai pas la prétention d'avoir élaboré une « patte » aussi identifiable. ? Sur Folio SF, je pense en toute sincérité qu'au moins 80 % des choix effectués à l'époque où j'en avais la charge auraient été identiques si une autre personne s'en était occupé, disons... d'une manière pareillement professionnelle. Le contexte de création d'une collection influe évidemment sur les titres publiés, c'est d'autant plus vrai sur une collection de poche dont la première mission est de gérer le prestigieux fond Présence du futur... Les 10 ou 20 % restants correspondaient sans doute davantage à mes propres désirs de lecteurs : des textes d'imaginaire - le réalisme ne m'intéresse guère en matière de littérature - très travaillés, jouant avec les codes et les genres sans trop se poser de questions. Mais là encore, de telles publications n'étaient possibles que dans un contexte bien particulier, celui d'une maison d'édition elle-même très littéraire et pas forcément intéressée a priori par les dragons et les vaisseaux spatiaux. Avec Terre de Brume, je revenais à mes premières amours livresques en leur appliquant ce qui - pour répondre à votre question, mais oui - représente peut-être le mieux mon credo en matière éditoriale : une démarche qualitative en matière de textes (traduits ou pas) qui me paraît le minimum vital à offrir aux lecteurs des ouvrages que je leur propose. Depuis mon arrivée dans le monde de l'édition, j'ai trop souvent entendu dire que les littératures de l'imaginaire étaient mal écrites, mal traduites, j'en passe et des pires. Or il ne tient qu'aux éditeurs de traiter la SF ou la fantasy ni plus ni moins comme de la littérature, je ne vois aucune raison - sinon commerciale, mais elle est bien entendu fondamentale - de faire un distinguo entre les deux. C'est en tout cas ainsi que je travaille chez Calmann-Lévy.
Jusqu'à aujourd'hui, quel est le roman, édité par vos soins, dont vous êtes le plus fier ?
Concernant Folio SF, je ne vais pas me glorifier de textes qui pour la plupart ont été écrits avant mes débuts professionnels et que je me suis contenté (?) de rééditer. Quelques fiertés néanmoins : être parvenu à publier Fight Club de Chuck Palahniuk dans une collection d'imaginaire, ce qui n'avait rien de gagné éditorialement et commercialement ; rééditer Thomas le rimeur d'Ellen Kushner, un texte réellement exceptionnel dont l'auteur est devenue une amie ; la reprise des Seigneurs de l'Instrumentalité de Cordwainer Smith - une belle aventure éditoriale qui m'est particulièrement chère car je m'étais promis en arrivant chez Folio qu'une fois celle-ci menée à bien, un jour, je pourrais quitter cette maison d'édition... dont acte ! Pour Calmann-Lévy, je suis très fier d'être parvenu à sortir en temps et en heure mes trois premiers bouquins. A titre personnel je suis ébloui par Le Dernier Gardien des Rêves de John C. Wright, qui représente pour moi tout ce que la fantasy devrait être.
C'est pour ma part mon préféré parmi vos trois titres de lancement. Une question banale à présent, quels sont vos auteurs favoris ? Pas forcément dans le domaine de la fantasy, d'ailleurs !
Des auteurs de chevet ? J'en ai deux, en fait, dont j'ai à peu de choses près tout lu : Mikhail Boulgakov et Kurt Vonnegut. Le premier parce que je ne me suis toujours pas remis de son Maître et Marguerite, le second parce que j'adore ce mélange d'imaginaire débridé et d'humour désespéré qui font de chacun de ses romans un petit précis de savoir survivre dans un monde dénué de sens. En - à peine - moins caustique, un écrivain comme Christopher Moore parvient à m'enchanter à chaque nouveau voyage dans son cerveau génialement malade. En matière de fantasy, j'aime beaucoup des auteurs comme Neil Gaiman, John Crowley ou Robert Holdstock.
Pouvez-vous nous parler de vos différentes collections, par rapport à l'ensemble du lectorat fantasy ? Chercherez-vous à être un peu plus pointu que la moyenne ?
Parce que la collection de fantasy dont j'ai la charge voit le jour au sein d'une maison d'édition généraliste, à l'histoire prestigieuse de surcroît, nous aurons une démarche effectivement assez haut de gamme (traductions, illustrations...) vis-à-vis de cette littérature, tout en conservant une ligne éditoriale consacrée à des ouvrages d'aventure à connotation mythologique. Du point de vue des auteurs anglo-saxons que je vais publier, je me considère assez proche des choix éditoriaux de feue Rivages fantasy.
Est-il, à votre avis, aisé de débusquer encore des perles inconnues du lectorat français ?
Il y a disons, cinq ans, nous avions peu ou prou une vingtaine d'années de retard vis-à-vis des productions anglo-saxonnes en matière de fantasy - en grande partie parce que la génération précédente d'éditeurs spécialisés n'avait guère de goût pour cette littérature. Même si le rattrapage s'est fait à une vitesse très - trop ? - soutenue, il reste effectivement pas mal de perles, plus ou moins anciennes au demeurant (je pense par exemple à l'exceptionnel Cycle de Merlin que je commence à publier en janvier prochain, écrit par Mary Stewart dans les 70's), à éditer - sans compter d'immenses domaines géographiques encore inexplorés en matière de littérature mythologique...
On sait que vous avez récupéré les droits du cycle des Malazéens de Steven Erickson. Comptez-vous rééditer le premier tome ? Les suivants ne seront-ils pas découpés ? Certains volumes sont énormes, et puisqu'une traduction en français augmente toujours le nombre de pages...
Le premier tome sera effectivement réédité, à moyen terme - lorsque j'aurai estimé ma collection suffisamment installée pour accueillir un ouvrage déjà publié. Quant aux volumes suivants... leur taille gargantuesque pose effectivement un réel problème. Disons que la question de leur découpage ne se posera pas si ma collection connaît autant de succès que je l'espère, car son modèle économique aura démontré sa viabilité. Alors achetez nos livres (sourire) !
Est-il prévu que vous vous tourniez, à court ou moyen terme, vers des auteurs, disons, d'horizons différents ? Qui nous changent de la fantasy strictement anglo-saxonne ?
Ce sera en fait l'un des axes de développement majeurs de cette collection : l'ouvrir à des auteurs venus d'horizons variés, afin d'explorer des pans entiers de mythes et de légendes qui demeurent aujourd'hui inaccessibles au lectorat français. Selon les années, entre un tiers et la moitié de mes titres devraient ainsi être consacrés à la fantasy en provenance du continent asiatique. Notre démarche sera double : la majorité de ces titres sera publiée en coédition avec un éditeur réputé de japanimation, Kaze - nous débutons en fanfare dès février prochain avec les cultissimes Chroniques de la Guerre de Lodoss de Ryo Mizuno ; et certains proviendront à moyen terme directement de mes propres recherches.
On sait que les éditeurs prévoient leur planning généralement plusieurs années à l'avance... Comment imaginez-vous le futur de cette collection ? Où aimeriez-vous être d'ici 10 ans, par exemple ?
En matière de fantasy, les plannings ont effectivement tendance à se charger très vite en raison de la nature cyclique des oeuvres publiées : éditer un roman revient en général à s'engager sur 2, 3... 9 suites qu'il faut bien caser dans son programme. J'ai donc une visibilité assez lointaine quant à ma production, environ trois ans. Le futur de cette collection dépendra en toute honnêteté de la réussite de son pari fondamental d'ouverture à d'autres mythologies - la concurrence est rude en matière strictement anglo-saxonne.
Quant à moi... d'ici 10 ans, je répondrai peut-être à vos questions pour célébrer une décennie de succès éditoriaux ? Ou je serai devenu libraire. Ou...

Interview réalisée par Gillossen


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