Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Ostrava a écrit : mar. 12 sept. 2023 18:44 1312 selon le site de l'éditeur ! J'adorerais lire cette saga un jour, mais bon sang si chaque tome fait cette taille ou plus... :D
Il faut les prendre en grand format :mrgreen: le nombre de pages est plus petit !
Bon, ça reste aussi long à lire, et on se muscle autant à la lecture. Mais quand même :ange:
"Libre à vous d'aller lire autre chose de plus franc du collier" La Cité de soie et d'Acier, de Mike, Louise et Linda Carey

"Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents" La Horde du contrevent, Alain Damasio

Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Bonjour à tous
Tout d’abord je tiens à témoigner une profonde reconnaissance aux Editions LEHA et aux deux traducteurs, Ser Garlan et Gillossen, qui ont porté ce projet jusqu’à son terme malgré les prédictions pessimistes. Erikson cite comme une de ses inspirations les récits homériques : vous êtes des Ulysse arrivés à Ithaque au grand bonheur de ceux qui vous accueillent, avides de goûter un récit de plus de dix mille pages. Pénélope ne s’ennuiera pas les longues soirées d’hiver.

J’avais lu le premier tome à une époque qui ignorait tout de la menace pour la civilisation que représentait le pangolin et en avait gardé un bon souvenir. Toutefois, au vu de l’ampleur de l’œuvre et de l’absence de traduction, je m’étais prudemment contenté de cette unique bouchée du festin malazéen.
Aujourd’hui je reprends ma lecture et l’envie me prend de partager quelques réflexions après avoir achevé ce premier tome.

Tout d’abord ce dernier a la réputation d’être particulièrement abscons dans son premier tiers – au point que même ma libraire spécialisée en fantasy s’est crue obligée de m’adresser un avertissement à faire pâlir d’envie Gandalf dans la Moria. Je me suis surpris à un moment à consulter à quelle page de ma lecture je me trouvais : la fatidique page 200 était passée sans que j’ai éprouvé la sensation de me noyer dans le récit. Certes Erikson débute son intrigue en un point qui pourrait paraître arbitraire de la geste malazéenne. Dans les récits classiques de fantasy, imprégnés de la dramaturgie du voyage du héros, l’action débute souvent en un lieu strictement limité (village ou quartier d’une ville) avec un jeune héros qui nous fait découvrir le monde à travers ses actions. L’univers se dévoile ainsi à la connaissance du lecteur en même temps qu’à la conscience du protagoniste. Rien de tel chez Erikson : le monde est donné d’emblée dans sa complexité chaotique, son débordement vital, les strates de son histoire et le choc des ambitions et désirs. Le lecteur ne découvre pas le monde pas à pas comme le jeune aventurier qui décide de quitter son village et, par les épreuves qu’il affronte se forge peu à peu une personnalité pleine, mais doit reconstruire un ordre là où il ne semble y avoir que chaos au départ, fonder un sens et un ordre
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Erikson ne trompe pas son lecteur : le narrateur est impartial, les personnages sont exposés avec clarté. En comparaison d’un autre auteur de fantasy, Gene Wolfe, la narration est fiable pour le lecteur et, s’il est nécessaire d’être attentif aux détails, celui qui nous conte l’histoire le fait objectivement. J'ai donc apprécié l'art de l'auteur dans la manière de nous amener dans cette grande fresque.

Par ailleurs je trouve le thème des Jardins de la lune relativement clair et bien exposé : la manière de considérer son prochain - et soi-même - comme une personne en tant que telle. Tout me semble se décliner à partir de cet angle.
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Après une telle recension, on pourrait croire qu’Erikson dresse le tableau d’une anthropologie pessimiste. Mais il délivre l’antidote. Les Brûleurs de Ponts, qui constituent une unité militaire et devrait donc être strictement définis par la fonction de chacun et un ordre rigide, forme un groupe où chacun prend soin de l’autre sans le considérer comme un simple moyen réservé à son usage. C’est une communauté humaine qui considère avec justice chacun de ses membres : une sorte de communauté idéale – mais plongée dans le désordre des ambitions et complots. Davantage que pour les personnages pris un à un, mon empathie s'est portée vers le groupe .

Plus que l'influence d'Homère j'ai eu l'impression de retrouver des tropes shakespeariens, savamment détournés:
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Pour les points plus négatifs :
les nombreux retours par des dialogues sur ce qui s’est passé antérieurement, un personnage en rencontrant un autre se retrouvant à lui expliquer ce que le lecteur a découvert quelques pages plus tôt. Il y a une certaine lourdeur dans le procédé de répétition d’exposition qui n’apportent aucun élément d’intrigue ou de caractérisation des personnages.
le nombre incalculable de verres éclusés : le vrai danger pour les personnages c’est la cirrhose.

En bref ce fût une lecture prometteuse et si les quelques défauts rencontrés s'atténuent au fil des volumes, c'est avec enthousiasme que je poursuivrais la découverte de ce monde malazéeen et de ses mystères.

Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Les Souvenirs de la Glace terminé ! ( bon, depuis 4-5j déjà ^^ )

Et quel livre une nouvelle fois ! Cette saga s'est fait une place dans mes sagas préférées, ce 3ème opus m'a confirmé la chose.
Un plaisir de retrouver les personnages dont nous n'avions plus de nouvelles (ou très peu pour d'autres) depuis le tome 1. Et j'ai maintenant hâte de retrouver ceux absent du tome 3 :D

Des scènes m'ont marquées comme
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Bref les groupes de personnages étaient tous super intéressants à suivre, anciens comme nouveaux.

Et d'ailleurs, avec ce 3ème livre, on a enfin l'objectif principal qui se dessine :
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On ne savait pas trop où ça nous menait avant ça.
Et on parlant de lui, j'ai aimé suivre son recrutement. Les personnages sont soit bien introduits, soit très bien teasés, je n'ai rien à dire là-dessus.

Et je finirais par parler de cette bataille finale ...
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Par contre, j'ai du louper un truc parce que je n'ai pas compris pourquoi
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Je vais m'arrêter là mais pour conclure, j'ai vraiment adoré ce 3ème livre, et encore d'avantage que les 2 premiers. J'commencerais le 4ème dans 1-2 semaines je pense. Le titre annonce des choses intéressantes :)

Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Bonjour
Retour sur ma lecture du livre "Les Portes de la Maison des Morts".

A titre préliminaire, si je m'étais inquiété pour le foie des personnages du premier volume, en raison d'une tendance prononcée au lever de coude, j'ai craint que ceux du présent opus passent leur temps à recracher la même quantité de liquide. J'ai en effet été surpris par le nombre de mollards expectorés, jusqu'au point métaphoriquement culminant du lieu de Crânecalice dénommé Glaviot. Mais finalement, au quart de l'ouvrage, cette effloraison salivaire prit fin.

Trêve de plaisanteries et passons au fond.

Si avec "Les Jardins de la Lune", Erikson me séduisait déjà par son ambition et le talent d'auteur dont il faisait montre pour tenir cette promesse, malgré quelques réserves, avec "Les Portes de la Maison des Morts" nous sommes face à une toute autre réalisation. Et ceci pas simplement parce que l'écrivain maîtrise mieux les techniques narratives - ce qui est notoirement le cas. Non, pour ma part, ce qui fait toute la différence, c'est que "LPdlMdM" est une oeuvre personnelle. Le livre respire les interrogations existentielles de son auteur, qu'il parvient à nous faire partager, non pas à travers d'épais pavés de rhétorique, mais par la chair, le sang et les affres de ses personnages. Il y a de belles oeuvres de fantasy, écrites d'une plume assurée, au style flamboyant, à l'intrigue troussée avec maîtrise : plus rares sont celles qui ouvrent sur les failles et angoisses de leur auteur. Merci M. Erikson.

Pour ce dernier, les strates du temps pèsent sur nous, le pas des morts a tracé une route qui semble un long chemin de croix - ce qu'il sera douloureusement dans le roman. Chaque lieu, chaque paysage garde les marques de la disparition de peuples et de civilisations :
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Alors comment continuer à vivre lorsqu'on habite un mausolée dont le nom des gisants s'est effacé ?
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En réalité, les hommes ont sous les yeux la preuve que les mêmes erreurs ont été commises à travers les âges :
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Mais il y a un espoir.
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La Chaine des Chiens n'est-elle pas la démonstration de ce que pourrait être une société humaine ?
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Dans ce roman les personnages sont bien campés mais, si le manichéisme n'est pas de mise, je trouve que certains antagonistes -
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- manquent de profondeur. Mais avec 10 volumes, Erikson a un peu de temps pour atténuer ce qui m'apparaît comme un défaut secondaire.
Toutefois je voudrais pointer un personnage en particulier car il est celui qui s'éloigne le plus du canon eriksonnien.
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Enfin, pour terminer cette trop longue, car enthousiaste, recension, je voudrais relever le sens de l'humour d'Erikson :
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. Avec cette veine humoristique et son sens des dialogues, il faut absolument qu'Erikson écrive des pièces de comédie.

Une fois de plus ce livre est une oeuvre précieuse car personnelle. Le tome 3 est maintenant dans mon sac de lectures en cours.

Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Vincentcollette a écrit : lun. 9 oct. 2023 21:50 Les scènes de comédies, il y en aura bien d'autres. (Surtout dans le livre 5, qui reste mon préféré.)
Merci pour ce retour très complet ! C'est un régal de lire ça, ça rappelle bien des choses...
Erikson illustre parfaitement cet aphorisme :"L'humour est la politesse du désespoir". Avec cette touche de non-sense qui rend les scènes si drôles. Peut-être qu'en les regroupant dans un seul recueil on pourrait en tirer une comédie.
En tout cas j'ai du mal à qualifier ce type de fantasy : high, dark... me paraissent des qualificatifs restrictifs. Il y a un côté "Les Chroniques de Thomas Covenant", vieille lecture, mais avec un nuancier bien plus large. Je la qualifierai de fantasy crépusculaire.

Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Bonjour

Retour sur ma lecture du livre "Les Souvenirs de la Glace".

Quelle densité. Plus de 1100 pages mais rien n'est à ôter. Même ce qui pourrait paraître incongru (les pérégrinations avec Bauchelain et Korbal Broche) est comme la trop brève respiration d'un air vicié pendant une descente interminable en apnée. Il serait présomptueux de résumer le thème, les motifs et l'intrigue de cet ouvrage : voilà donc un exercice auquel je vais me prêter.

La douleur. La douleur qu'on éprouve, la douleur qu'on inflige, la douleur qu'on éprouve en l'infligeant, la douleur qu'on recueille et qu'on soulage. Et ce que cette douleur crée en nous. Pour un livre de fantasy épique, Erikson ne s'accorde aucune facilité. Mais s'il a choisi un thème aussi ardu c'est également en amoureux de la littérature de genre qu'il a décidé de s'exprimer. Et dans ce domaine il relève le gant avec brio tant les morceaux de bravoure sont nombreux.

Dès le prologue, le ton est donné.
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Pour Erikson, la naissance et l'apogée de la civilisation sont bâties sur un même ossuaire.

Les scènes épiques sont conduites de main de maître -
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- resteront longtemps dans ma mémoire. Toutefois ce qui m'a marqué dans ces combats c'est la manière dont les corps des combattants ne se distinguaient plus les uns des autres : mort ou survivant c'est la même marée de sang et de chair qui submerge les adversaires. On ne parvient à reconnaître le vainqueur que parce qu'il s'extrait du sommet du charnier. Chez Erikson il n'y a pas de gloire dans la bataille.

Mais comment s'en étonner puisque la "surface prend la forme de ce qui gît en profondeur". Dès lors ces scènes épiques sont d'abord l'expression d'une violence qui ne connait pas de fin, un éternel retour.

Dans un ouvrage de fantasy classique, la tension aurait atteint son climax
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Mais ce dont nous parle Erikson ce n'est pas d'une victoire militaire, anecdote dans une histoire multimillénaire de massacres : c'est ce qui se passe après. Que fait-on de sa victoire, que fait-on pour les morts, pour ceux qui restent et pour les bourreaux ?
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Ganoes Paran exprime l'angoisse de chacun : "La douleur obscurcissait le monde. La douleur disloquait, changeait la chair et les os d'un être en une maison étrangère de laquelle il était impossible de s'enfuir". Le livre distille une suite de marques de souffrance
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J'aime beaucoup les personnages de la famille Paran. Ganoes, tout comme sa soeur Félisine, est réticent à s'ouvrir, à se découvrir; il y a dans cette famille comme une peur : "Plus d'un philosophe a affirmé que nous demeurions des enfants à jamais, profondément enfouis sous les strates rigides qui composent l'armure de l'âge adulte. Cette carapace nous embarrasse, restreint le corps et l'âme qu'elle héberge. Mais elle nous protège, également".
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La douleur existe. Il nous faut apprendre à l'accepter même si elle nous change. Car de ce changement, nous laisse entendre Erikson, peut naître un bien.
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La plus ancienne souffrance qui nous soit donnée à connaître est celle des Tistes Andii, peuple de la perte,
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Mais d'où vient cette douleur ? D'un Mal qu'on ne peut pas extirper ou bien de l'instinct de domination de certains ?
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Erikson prend au sérieux la question du Mal et ne veut certainement pas la réduire à la figure convenue de l'Antagoniste, si chère à la fantasy.
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Mais si le Mal n'est que la perpétuation du cycle de la douleur, est-il possible d'y mettre un terme ?
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Il existe donc l'empathie, ce sentiment naturel, et même plus : la compassion, la miséricorde et le pardon.

Itkovian est la figure de ce que peut un humain sur la voie de la compassion,
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Mais même ainsi il en faut plus pour relever certaines âmes : pour la miséricorde et le pardon il faut espérer une puissance plus grande.
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Mais cette rédemption ne sera pas accordée à tous. "Pour tout ce qui adviendra à l'avenir, n'oubliez pas de pardonner (...) mais sachez également que votre pardon ne devra pas toujours être accordé gratuitement.(...) Dans certains cas le pardon se doit d'être refusé".

Toutefois la compassion n'est-elle pas aussi un piège ?
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Chez Erikson il y a tous ces moments où la "piétaille" discute, souvent sur une colline ou au bord de la route où passent les gens d'importance, mi-blasée, mi-goguenarde, décalant notre regard des grands enjeux pour ramener l'existence à ce qu'elle a de plus concret : la camaraderie bravache, une ironie mordante, une amitié qui refuse de s'épancher pour mieux se laisser deviner. Piocheuse et Mêle, je vous aime. Et les Irréguliers de Mott sont comme le rappel des personnages du petit peuple des comédies shakespeariennes, faussement bêtes mais bien plus lucides que les héros du récit. D'ailleurs Bauchelain ne s'en plaint-il pas auprès de Grognard : "Le manque de respect constitue l'un des à-côtés les plus néfastes de l'éducation de masse".

J'ignore tout des convictions profondes de l'auteur mais il est évident que les interrogations d'Erikson ressortissent à un vocabulaire et à des figures qui imprègnent certaines traditions philosophiques et religieuses.

Voilà il y aurait tant d'autres choses à relater
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mais j'ai déjà été trop bavard alors que je n'ai qu'entamé de déplier les multiples couches et motifs de ce livre.

Je voudrais simplement finir en citant Kruppe, ce personnage si plein de tragique derrière ses airs de bouffon :
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Merci M. Erikson

Re: Critique ! [Le Livre des Martyrs - Steven Erikson]

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Tenaka_Pop' a écrit : lun. 21 août 2023 11:22
Zemog a écrit : ven. 18 août 2023 18:08 Bref c'est vraiment bien, faut pas être trop fatigué quand on le lit, faut être attentif, faut accepter d'être paumé....Je ne sais pas si j'enchaîne sur le t2 de suite mais je le ferai assez vite
C'est exactement ça !

C'est exigeant mais génial :)
ouais mais toujours pas réussi à me mettre dans le tome 2 . J'ai essayé un peu mais trop crevé pour apprécier...bref va falloir s'y mettre quand le cerveau sera disponible