Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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Tybalt a écrit : jeu. 26 oct. 2023 09:56 le racisme était déjà aussi pénible pour les personnes qui en étaient victimes il y a 100 ans que maintenant
Bien évidemment mais ce n'est même pas le sujet. Il faut bien se rendre compte que certaines opinions, sur la race ou bien la colonisation, et je ne parle pas de Tolkien en particulier, pour scandaleuse qu'elles nous paraissent étaient absolument normales dans la société de l'époque et partagées par tout le monde. Tout comme l'esclavage était quelque chose de naturel pendant l'antiquité ou bien la peine de mort au moyen âge.

Quant au fait qu'il est supposément été conservateur (ce qui pour moi ne fait guère de doute) ou de droite, et alors j'ai envie de dire si c'était le cas c'est son droit le plus strict. Je ne pense pas que ça empêchera ceux qui aiment le seigneur des anneaux d'apprécier l'oeuvre.

Après comme tu le dis ce qui est le plus gênant c'est de faire passer des erreurs factuelles sur l'oeuvre comme étant des vérités. Heureusement que certains ont l'oeil, ou plutôt l'oreille affutée. Je n'aurai sans doute pas tout relevé.

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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Horion a écrit : jeu. 26 oct. 2023 10:10
Tybalt a écrit : jeu. 26 oct. 2023 09:56 le racisme était déjà aussi pénible pour les personnes qui en étaient victimes il y a 100 ans que maintenant
Bien évidemment mais ce n'est même pas le sujet. Il faut bien se rendre compte que certaines opinions, sur la race ou bien la colonisation, et je ne parle pas de Tolkien en particulier, pour scandaleuse qu'elles nous paraissent étaient absolument normales dans la société de l'époque et partagées par tout le monde. Tout comme l'esclavage était quelque chose de naturel pendant l'antiquité ou bien la peine de mort au moyen âge.
Je suis désolé mais c'est complètement faux.

D'une part parce que les esclaves n'ont jamais trouvé "naturel" d'être esclaves. Les révoltes serviles existent dès l'Antiquité. La traite triangulaire a donné lieu à des révoltes régulières, toujours réprimées et étouffées autant que possible par les esclavagistes qui craignaient qu'elles ne s'étendent.

D'autre part parce qu'en dehors des principaux intéressés, à l'époque où vit Tolkien, le mouvement abolitionniste existe aussi aux États-Unis et en Europe, et depuis plus de deux siècles. Les quakers aux États-Unis ont pris des lois contre l'esclavage dès la fin du XVIIe siècle. Au XVIIIe, les philosophes des Lumières ont largement dénoncé l'esclavage. L'abolition de l'esclavage figure déjà parmi les réclamations consignées dans les cahiers de doléances au moment des États généraux juste avant la Révolution française. Pendant la Révolution, des révolutionnaires comme Jacques Pierre Brissot dénoncent avec force l'esclavage et les crimes commis contre les esclaves (Brissot parle de "la barbarie du maître"). Le 12 mai 1791, Robespierre se prononce pour que les hommes, quelle que soit leur couleur de peau, deviennent citoyens. La même année, à Haïti ("Saint-Domingue"), les esclaves se révoltent et reprennent leur liberté, et quand Napoléon leur envoie la troupe quelques années après pour les mater, ils le battent à plates coutures. Le Royaume-Uni, le pays de Tolkien, est l'un des premiers pays d'Europe à abolir l'esclavage, en 1833. Aux États-Unis, après un vague incident appelé la Guerre de Sécession, Lincoln abolit l'esclavage en 1863, trente ans avant la naissance de Tolkien.

Donc non, "tout le monde" ne partageait pas les idées racistes et esclavagistes. C'était une idéologie, et elle n'était ni légale ni consensuelle au temps de Tolkien.

Tolkien est d'ailleurs très clair sur le sujet du racisme : né en Afrique du Sud, il écrit dans Les Monstres et les critiques : "j'ai la haine de l'apartheid dans mes os". Quant à l'esclavage, la manière dont il parle des populations réduites en captivité dans le Silmarillion et de la captivité des hobbits dans Le Seigneur des Anneaux ne laisse pas d'ambiguïté sur ce qu'il en pense.

Quant à l'Antiquité, elle a duré plus de 4000 ans, et l'esclavage n'était tellement pas "naturel" pour "tout le monde" qu'il n'existait pas dans toutes les sociétés antiques — en Égypte, par exemple, il n'y avait pas d'esclavage — et qu'on peut assez précisément situer la naissance des idées racistes et retracer leur diffusion — on ne remerciera pas Aristote qui a joué un rôle hélas important en la matière. On peut faire la même chose avec la naissance et la diffusion du principe de l'esclavage-marchandise, qui, en Grèce antique, ne date pas de la nuit des temps mais du VIe siècle avant J.-C., où il se développe à Chios, avant d'être repris par des cités comme Athènes puis porté à son paroxysme à Sparte, avec ses tristement célèbres hilotes... qui se sont révoltés à de multiples reprises avant d'être finalement libérés par les Thébains au IVe siècle av. J.-C. Du côté des Romains, Spartacus aimerait te faire un petit coucou. On pourrait continuer. En parlant par exemple des premières abolitions de la peine de mort... au Japon au IXe siècle, en plein Moyen âge.

Si, comme tu le dis bien toi-même, "ce n'est pas le même sujet", je ne comprends pas pourquoi tu as cru bon de glisser ici des généralisations tendancieuses. C'est une façon maladroite de défendre Tolkien qui, sans avoir été à la pointe des luttes sociales de son temps, n'était ni raciste ni esclavagiste.
Horion a écrit : jeu. 26 oct. 2023 10:10Quant au fait qu'il est supposément été conservateur (ce qui pour moi ne fait guère de doute) ou de droite, et alors j'ai envie de dire si c'était le cas c'est son droit le plus strict. Je ne pense pas que ça empêchera ceux qui aiment le seigneur des anneaux d'apprécier l'oeuvre.
Là, nous sommes d'accord :) Pour tout ce que j'ai pu en lire, Tolkien reste un conservateur britannique de son temps, très "King and country". Il a une vision du monde catholique, profondément influencée par sa lecture de la Bible. Il a une vision des femmes qui nous paraît aujourd'hui très datée, et qui s'explique assez facilement quand on lit le détail de sa vie, marquée par un mode de vie non mixte où les jeunes hommes vivaient presque uniquement entre eux. Mais tout ça ne l'a pas empêché d'être un grand écrivain, dont l'œuvre n'a pas vieilli. Il y a des auteurs de l'imaginaire, y compris plus récents, qui s'en sortent beaucoup moins bien à ce compte.
Modifié en dernier par Tybalt le jeu. 26 oct. 2023 11:43, modifié 1 fois.

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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Je n'ai pas dit que les esclave trouvaient naturel d'être esclave (quoi que dans la rome antique on pouvait se vendre comme esclave pour rembourser ses dettes) mais que c'était normal pour la société de l'époque qui reposait largement sur l'esclavage. Il n'y a absolument aucun consensus des historiens sur l'absence d'esclavage en Egypte antique (Hérodote décrit d'ailleurs des nuées d'esclave lors de son voyage en Egypte). Quant aux révoltes serviles c'est un épiphénomène, qui n'a d'ailleurs que peu mobilisé au delà de la sphère des gladiateurs. Il n'y a pas eu de soulèvement généralisé des esclaves en Italie romaine même au moment ou le pouvoir romain vacillait.

Mon exemple sur l'esclavage se limitait à la période antique et en aucun cas je n'ai parlé de l'esclavage au XIXe siècle qui était aboli depuis un moment (en occident en tout cas) quand Tolkien écrit ses livres et je n'ai jamais dit non plus que tout le monde partageais des idées esclavagistes (j'ai parlé de certaines opinions (stéréotypes si tu veux) sur la race). Merci de ne pas me faire dire ce que je n'ai pas dit.

"Les esclave de Haiti se révoltent et reprennent leur liberté" Non. Ils se révoltent, reprennent leur liberté et sont immédiatement réduit en esclavage (ou travail forcé comme tu veux) par les nouveaux dirigeant de l'ile.

"Si, comme tu le dis bien toi-même, "ce n'est pas le même sujet", je ne comprends pas pourquoi tu as cru bon de glisser ici des généralisations tendancieuses. C'est une façon maladroite de défendre Tolkien qui, sans avoir été à la pointe des luttes sociales de son temps, n'était ni raciste ni esclavagiste." J'ai simplement voulu faire un parallèle avec des visions du monde complètement éloigné de notre époque, qui ne sont pas à juger avec notre vision actuelle. Et je le redis je n'ai a aucun moment prétendu que Tolkien était raciste ou bien esclavagiste. Les exemples que j'ai donné son complètement déconnecté de Tolkien.

Bon ceci étant dit on est en train de polluer le sujet, on peut continuer cette discussion ailleurs sans aucun soucis. Ceci dit, j'ai l'impression qu'on est plus ou moins d'accord sur le fond même si j'ai pu présenter les choses de manière peu claires.

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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On va dire que ce n'était pas clair, oui, parce que ta phrase "Il faut bien se rendre compte que certaines opinions, sur la race ou bien la colonisation, et je ne parle pas de Tolkien en particulier, pour scandaleuse qu'elles nous paraissent étaient absolument normales dans la société de l'époque et partagées par tout le monde" était une sacrée généralisation.
Horion a écrit : jeu. 26 oct. 2023 12:31 Je n'ai pas dit que les esclave trouvaient naturel d'être esclave (quoi que dans la rome antique on pouvait se vendre comme esclave pour rembourser ses dettes) mais que c'était normal pour la société de l'époque qui reposait largement sur l'esclavage. Il n'y a absolument aucun consensus des historiens sur l'absence d'esclavage en Egypte antique (Hérodote décrit d'ailleurs des nuées d'esclave lors de son voyage en Egypte). Quant aux révoltes serviles c'est un épiphénomène, qui n'a d'ailleurs que peu mobilisé au delà de la sphère des gladiateurs. Il n'y a pas eu de soulèvement généralisé des esclaves en Italie romaine même au moment ou le pouvoir romain vacillait.
Bon, ce n'est pas le sujet ici mais il se trouve que je suis amené à beaucoup lire sur l'Antiquité dans le cadre de mon métier et je peux te dire que, sur ce point-là, ton raisonnement est très discutable. Par exemple, en termes de méthode historique, ce n'est pas parce qu'une source prise isolément parle d'esclaves qu'elle a raison : Hérodote raisonne à partir de ce qu'il connaît. De même, la Bible présente l'Égypte ancienne comme esclavagiste, mais entre ce que dit la Bible et la réalité historique, il y a parfois "quelques" écarts. Il faut aussi recontextualiser les lois et les événements : par exemple, si la révolte de Spartacus ne s'est pas étendue, c'est parce qu'elle a été réprimée promptement par les légions qui étaient mortes de frousse à l'idée d'une extension du phénomène. Bref, prudence avec les généralisations, encore une fois. Quant à l'Égypte, on pourrait discuter en MP sur tes sources, parce que tous les historiens que j'ai pu lire sur le sujet vont dans le sens du "pas d'esclavage" (ce qui ne veut pas dire que c'était l'égalité et la joie à tous les étages non plus, hein...).
Horion a écrit : jeu. 26 oct. 2023 12:31J'ai simplement voulu faire un parallèle avec des visions du monde complètement éloigné de notre époque, qui ne sont pas à juger avec notre vision actuelle. Et je le redis je n'ai a aucun moment prétendu que Tolkien était raciste ou bien esclavagiste. Les exemples que j'ai donné son complètement déconnecté de Tolkien.

Bon ceci étant dit on est en train de polluer le sujet, on peut continuer cette discussion ailleurs sans aucun soucis. Ceci dit, j'ai l'impression qu'on est plus ou moins d'accord sur le fond même si j'ai pu présenter les choses de manière peu claires.
En effet :)

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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Tybalt a écrit : jeu. 26 oct. 2023 11:29Tolkien reste un conservateur britannique de son temps, très "King and country". Il a une vision du monde catholique, profondément influencée par sa lecture de la Bible. Il a une vision des femmes qui nous paraît aujourd'hui très datée, et qui s'explique assez facilement quand on lit le détail de sa vie, marquée par un mode de vie non mixte où les jeunes hommes vivaient presque uniquement entre eux.
Il y aurait là aussi de quoi discuter (je me demande même si des sujets dédiés n'ont pas amorcé les débats il y a un moment d'ailleurs), car les systèmes politiques que Tolkien présente dans ses écrits sont variés, mais aucun d'entre eux n'est parlementaire. Mais il n'y a pas que des monarchies puisque les hobbits vivent dans une organisation à multiples niveaux (dont une partie laisse une place égale aux femmes) dont l'échelon le plus visible est le maire, élu.

Quand à la vision des femmes, il y a plus à développer, mais sa vie illustre à quel point il a été marqué par sa mère, sa tante, sa fiancée, sa tutrice et d'autres, qui ont fait de lui, parmi les dignes professeurs d'Oxford, un cas atypique (déjà, il donnait des cours au début de sa carrière, étant marié, il était l'un des seuls aptes à enseigner à des femmes qui avaient un cursus réservé pour elle, la bienséance était sauve). Et Eowyn est un bon exemple de privation de choix, parce qu'une princesse ne fait pas vraiment ce qu'elle veut, et pourtant, telle une Lagertha, elle défie les conventions même moderne (une femme au combat, maintenant ou en 1910, ça n'a pas beaucoup changé, je regarde les actualités et s'il y a des armées mixtes, on voit toujours certains beaucoup plus que d'autres).

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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Tout à fait, là je pensais plus à la vision des femmes qui peut ressortir de sa correspondance et où on voit clairement des préjugés surannés (les conseils à son fils, notamment). Ça ne l'a pas empêché de créer des personnages féminins centraux et puissants, et ce n'est pas après ma lecture du Silmarillion avec l'extraordinaire Luthien que je pourrai te contredire :)

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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D'ailleurs, comme une partie des parutions prévues pour cet automne a été reportée, j'attire votre attention sur quelque chose que les visiteurs de l'expo BnF ont dû voir, vers la fin, tout près de la sortie.
Quelques pages des notes chronologiques que Tolkien utilisait pour se repérer dans les déplacements de ses personnages, les vitesses de chaque groupe selon qu'ils soient à pied ou à cheval, les phases de la lune...
Ces notes ne sont pas dans History of Middle earth et ne se retrouvent que dans des publications savantes comme les Tolkien Studies qui ont accès au plus près des collection d'archives comme celles de l'université Marquette.
Autant dire qu'un éditeur français se penche rarement -jamais- sur un tel marché de niche.

Heureusement, nos amis de Tolkiendil, via leur magazine "le arc et le heaume" nous propose parfois ce genre de pépite, notamment en hors série. C'est le cas avec le tout dernier dont je vous indique ici une description (je n'y ai pas contribué pour une ligne et je n'ai pas d'actionnariat dans l'affaire, et je paie mon exemplaire comme tout le monde, et il m'intéresse autant qu'il peut intéresser ceux qui ont de la curiosité pour les coulisses de l'écriture).

Re: 1973-2023 : cinquantenaire de la mort de Tolkien

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Foradan a écrit : sam. 28 oct. 2023 00:44 il m'intéresse autant qu'il peut intéresser ceux qui ont de la curiosité pour les coulisses de l'écriture).
Merci pour la pub, Foradan. Je tiens tout de même à dire que n'importe qui lisant le SdA peut utiliser ces tableaux pour suivre les personnages. C'est encore mieux que la chronologie de l'appendice B et ça permet notamment d'avoir quelques détails passés sous silence par Tolkien dans le texte principal.