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par Roland Vartogue
Vala
Allez, on est reparti pour un tour avec le débat sur Prometheus. Je ne résiste jamais au plaisir d'ajouter mon grain de sel sur le sujet...Je peux comprendre l'argument général contre toute forme de prequel, dans la mesure où il est effectivement très difficile de remplacer un mystère établi de longue date par une quelconque explication (scientifique ou pas d'ailleurs).Dans le cas de la saga Alien, je dirais que l'aspect mythique et profondément dérangeant de la créature ainsi que de son "système de reproduction", ont été affaiblis dès l'instant où la première suite réalisée par James Cameron est sortie en salle.Nous avions une créature unique et aux motivations incompréhensibles qui agissait dans le Nostromo à la manière du minotaure dans le labyrinthe. Ce monstre emmenait les gens ou les tuait sans que l'on puisse dire s'il agissait par faim, par pulsion meurtrière ou par un désir purement sexuel. Certaines victimes étaient enlevées, d'autres tuées sur place (et partiellement déshabillée dans le cas de Lambert). La seule certitude qu'on pouvait avoir sur cet être, c'était qu'il était mué par un instinct de survie qui dépasse tout ce que la nature a pu engendrer sur Terre. Ash, l'androîde le trouve fascinant pour cela et pour son absence total de conscience.Arrive donc Aliens, ou Alien le retour, comme le film était alors appelé en France. Cette fois, James Cameron choisit de ne pas construire le film comme un récit d'horreur, mais comme un film de guerre. Ses marines sont la représentation très claire des soldats américains pendant la guerre du Vietnam qui débarquent dans un lieu totalement inconnu persuadés que nul ne peut leur résister, et qui vont se faire laminer par une force en apparence plus primitive, mais beaucoup mieux adaptée au combat au corps-à-corps.Cameron choisit aussi de développer la menace alien. Là où on n'avait qu'une seule créature face à un nombre réduit de protagonistes, on en a soudain toute une horde et celle-ci s'attaque à une colonie entière avant de faire face à nos marines. On explore aussi la structure de groupe des "xenomorphes" comme on les appelle désormais, et on nous apprend qu'ils vivent en fait en essaim avec une reine à leur tête, laquelle pond les œufs contenant les facehuggers. Et c'est la que réside le problème.L'idée fonctionne et elle explique sûrement le succès du film dans une bonne mesure. Pourtant, il s'agit d'une véritable trahison par rapport à l'esprit du film initial. Réduire les aliens à de simples insectes intergalactiques, tout juste bons à se faire mitrailler en masse par des militaires bas du front les prive d'une énorme partie de leur aura. Qu'importe désormais le mystère du vaisseau échoué du premier film, puisqu'on a là une espèce qui n'a rien pour nous surprendre. Une fois la reine introduite, on sait tout ce qu'il faut savoir d'eux. Ils sont à peine plus redoutables que des fourmis ou des abeilles géantes.Pourtant, il y a des moments où ils font preuve d'intelligence, notamment quand ils coupent la lumière de la station et se glissent dans les conduits cachés dans le faux plafond pour atteindre les humains. Ou encore quand Ripley menace de brûler les oeufs, et que la reine semble "ordonner" à ses gardes de reculer. Pourtant, ces scènes là sont également problématique dans la mesure où Cameron n'a rien de mieux pour rendre les aliens "intelligent" que de les faire penser comme des humains. Ce n'est pas du tout ce que Ridley Scott faisait dans le premier film. Toutes les réactions de la créature étaient étranges, et les seuls moments cohérents dans son attitude étaient quand il s'agissait de survivre. On ne peut pas se baser sur des comportements animaux ou humains pour ceux de l'alien. Tout est dans le titre ! Nous sommes face à quelque chose que nous ne comprenons pas. Et c'est exactement ce que David Fincher et Jean-Pierre Jeunet essaieront de retrouver dans les deux films suivants : l'aura de l'individu, l'idée qu'un seul monstre suffit à générer la peur, du moment qu'il garde son mystère (Jeunet le fera à travers l'hybride dans son dernier acte).Tout ça pour dire que je trouve injuste que l'on accuse Ridley Scott de démystifier sa créature dans Promotheus, alors qu'il fait exactement l'inverse. Si l'alien est la création des ingénieurs, sa nature ni humaine ni animale est à nouveau intacte. C'est un monstre engendré par l'homme au contact avec une substance qui n'est jamais identifiée et dont les effets changent à chaque fois. On suppose à la fin du film que le contenu des jarres est une arme ayant pour but d'entraîner la destruction de l'humanité, mais ce n'est qu'une théorie, rien de plus. Tout dans le film repose sur l'ambiguité. Rien n'arrive jamais comme le spectateur s'y attend. La scène "classique" du monstre dans le ventre se produit non-pas chez le personnage qui a été au contact avec la substance, mais chez la femme qui a couché avec lui, et ce n'est pas un "xenomorphe" qui apparaît mais une créature qui rappelle plutôt la morphologie du face-hugger dans une version plus tentaculaire. Et ce n'est sans doute pas un hasard si même quand la créature pond dans le corps d'un ingénieur, le monstre qui sort ensuite de son ventre n'est pas un alien tel que nous l'avons connu, pas tout à fait. Il apparaît déjà formé, et non comme un embryon dépourvu de membres comme dans les autres films. La morphologie ne correspond même pas à celle du monstre classique.Le procès qui a surtout été fait à Prometheus c'est que son scénario n'a aucun sens en terme de biologie et de reproduction des aliens. Que ça plaise ou non, ce choix est totalement assumé. Il n'y a pas de reine alien dans la vision qu'a Ridley Scott de son univers, ou alors c'est tout au plus une simple incidence, un développement possible parmi une infinités. Quelle que soit la corruption biologique contenue dans ces jarres, elle prend des formes multiples, métamorphosant parfois un organisme existant, attendant parfois un premier cycle de reproduction, naturel ou non, avant de se manifester sous une autre forme.Le film nous laisse spéculer sur la chose, ainsi que sur ses implications philosophiques et religieuses. C'est bien plus intéressant à mes yeux que de se contenter d'un survival dans l'espace. Cela pose plus de questions que ça n'en résout (pas étonnant que ça ait été écrit par un des auteurs de LOST). Et on peut de nouveau imaginer ce qu'on veut pour expliquer la nature et les actes de ce monstre sorti de nulle-part, engendré par la volonté d'êtres dont les motivations mêmes nous sont inconnues.