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Elliot du Néant
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Sabrina Calvo
Ouvrage nommé au prix Elbakin.net 2012.
Islande, 1986. Dans la petite école d’Hafnafjordur, entre une falaise arpentée par les fées et un champ de lave hanté par le passé, se noue un drame cosmique aux fantastiques implications. À la veille de la grande kermesse annuelle, Elliot, le très vieux concierge muet, a quitté sa chambre sans fenêtres, fermée de l’intérieur.
Bracken, le professeur de dessin, part à sa recherche flanqué de deux tortues, sans se douter que cette aventure l’amènera à franchir le seuil de la réalité, là où absurde, poésie et dangers se fondent en une vertigineuse chasse aux secrets.
Critique
Par Gillossen, le 07/05/2012
Les romans de Sabrina Calvo restent rares, aussi s’agit-il de les considérer avec attention et de ne pas oublier cette voix singulière. Le parcours de l’artiste a souvent pris par ailleurs des chemins variés et elle le prouve une fois encore ici.
Comme c’est le cas trop rarement, le résumé du roman en quatrième de couverture parvient à susciter l’intérêt du lecteur et à résumer l’ambiance toute particulière de celui-ci sans trop en dévoiler sur l’intrigue proprement dite. Non pas que la chose eût forcément été aisée. Si le roman peut s’apparenter en effet à une quête, à la poursuite d’un vieil homme mystérieusement disparu, les détours et les culs-de-sac ne manquent pas. Il faut dire que le jeu de pistes de l’auteur prend très vite des allures de fragile chemin de traverse nous conduisant vers un monde à part, par le biais d’un certain nombre de rencontres des plus cocasses, et souvent joliment absurdes.
Parlons justement de ce monde. Pour en revenir au cadre immédiat, ce qui nous apparaît en premier lieu, nul doute que l’Islande, terre de croyances, apporte un plus. Ce n’est pas un simple décor de carte postale. Sabrina Calvo réussit à lui donner corps tout en lui conservant ce caractère éthéré qui définit si bien ce pays. Evidemment, il va de soi que si vous connaissez déjà l’Islande, l’évocation de certains lieux, ou même simplement de certains noms, prend une tout autre dimension, même si l’autrice évite savamment le côté guide touristique.
Il faut dire que l’on reste à hauteur du narrateur, Bracken, un exilé tourmenté par son passé et loin d’être en paix avec lui-même. Lancé presque malgré lui dans le Néant, Bracken va évidemment connaître son lot de surprises en partant à la recherche d’Elliot. Il ne faudrait pas oublier cependant que le roman ne se veut pas une réflexion obscure sur la nature même du néant, à travers notamment l’évocation de l’oeuvre de Stéphane Mallarmé, bien connu pour la symbolique accolée à ce terme. Non, Sabrina Calvo ne renonce pas à un certain humour, empreint de fantaisie, grâce par exemple à des seconds rôles truculents, et qui pour le coup sont associés à un véritable “bestiaire”.
Elliot du Néant réussit ainsi une sorte de grand écart, un grand écart que la plume de l’autrice contribue à assurer. Si Sabrina Calvo possède un réel talent pour jouer avec les mots et fait mouche plus souvent qu’à son tour en faisant preuve d’un réel pouvoir d’évocation, elle rate aussi parfois le coche, quand sa prose prend des accents quelque peu forcés. Mais à mesure que l’on plonge avec Bracken toujours plus loin dans les profondeurs de cette toile féérique, à mesure que le lâcher prise l’emporte, l’inventivité de l’auteur et de sa mise en scène nous entraînent vers des rivages autres, et ce jusqu’à la dernière ligne, venue boucler la boucle.
Le grand écart se situe donc là, dans ses failles qui se dessinent entre deux réalités, dans ses dialogues à la fois ambigus et directs, dans son choix d’une époque à laquelle on croit voir s’ancrer le récit, dans sa galerie de personnages, dans son mélange de références…
Comme souvent avec de tels romans, à la fois si travaillés et si personnels, il y a bien sûr le risque de laisser des lecteurs en bord de route. Et nul doute que le roman, aussi court que dense (moins de 300 pages), ne plaira pas à tout le monde. On peut comprendre que l’on reste perplexe, voire amusé devant certaines circonvolutions de l’autrice, aussi bien sur le fond que sur la forme. Mais les clés sont là.
Stéphane Mallarmé disait : “le monde est fait pour aboutir à un beau livre.”
Pari réussi ici.
8.0/10
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